Courrier International 12 janvier 2022
Souvent proches du pouvoir islamo-nationaliste, les confréries religieuses sont très présentes dans le secteur de l’éducation. Mais le suicide d’un jeune étudiant qui se plaignait des conditions de vie dans son pensionnat provoque un ardent débat dans le pays.
Le suicide d’un étudiant en médecine de 20 ans, mardi 11 janvier, a déclenché une polémique sur les confréries religieuses en Turquie. Celles-ci détiennent plus de 2 500 dortoirs étudiants, soit un tiers de l’offre privée du pays, dont celui où résidait Enes Kara. Peu de temps avant sa mort, le jeune homme, qui se déclarait athée, avait réalisé une vidéo de témoignage où il se plaignait de ses conditions de vie dans cet hébergement :
« Ils nous font lever à 6h30 pour la prière, puis je vais à l’université jusqu’à 17 heures. Ensuite, nous avons une heure de lecture religieuse obligatoire, puis les prières du soir jusqu’à 20 huers. Déjà que je passe mon temps à étudier, ces obligations me sont insupportables. Je me sens privé de ma liberté. J’ai perdu l’espoir et le goût de la vie ».
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Relayant les mots de l’étudiant, le quotidien Cumhuriyet souligne que sa famille avait refusé qu’il quitte le pensionnat, et que son père n’a pas jugé utile de porter plainte contre l’institution.
Fréquentés par les enfants des familles les plus conservatrices où par les étudiants les plus démunis, les pensionnats des confréries religieuses sont régulièrement l’objet de critiques de la part de la presse laïque – notamment lorsque éclatent des scandales d’abus sexuels contre leurs jeunes pensionnaires. Mais la mort d’Enes Kara, la vidéo qu’il a laissé derrière lui et l’attitude de ses parents ont bouleversé et indigné l’opinion. Sur les réseaux sociaux, des dizaines de milliers de messages ont appelé à mieux contrôler ou à fermer ces établissements.
Un soutien précieux pour Erdogan ?
La confrérie Nur, une des plus influentes de pays et à laquelle appartient le pensionnat, est connue pour sa proximité avec le pouvoir. Le porte-parole du parti islamo-nationaliste AKP, Ömer Çelik, a souhaité couper court à la polémique : “Il est immoral et inacceptable de se servir de la mort d’un jeune homme pour tenter de régler des comptes idéologiques en usant d’un vocabulaire haineux”, a-t-il déclaré selon des propos rapportés par le quotidien Milliyet.
“Les laïcards instrumentalisent la mort d’un jeune homme, commente le quotidien islamiste Yeni Akit. Ils se servent de quelques exemples négatifs pour salir les confréries et empêcher la jeunesse de ce pays d’accéder à ses valeurs spirituelles, mais c’est plutôt l’alcool que l’on devrait interdire, au vu du nombre de suicide qu’il engendre”, assène le journal.
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Traditionnellement proche des confréries religieuses, qui lui apportent un précieux soutien, l’AKP a par le passé eu maille à partir avec l’une d’entre elles, celle de l’imam Fethullah Gülen. L’ancien allié du président Erdogan avait placé ses hommes à des postes clés dans les appareils judiciaires et policiers, mais il est aujourd’hui en exil aux États-Unis après avoir été accusé d’être l’instigateur du coup d’État manqué de juillet 2016. “Comment être sûr qu’une autre de ces confréries ne prendra pas le même chemin ?” interroge un éditorialiste du média en ligne T24.
« Ces confréries forgent dans leurs pensionnats une armée de disciples, avec une discipline de fer. Enes Kara, parce qu’il n’a pas accepté ce mode d’existence et qu’il n’a pas trouvé de soutien autour de lui n’est plus parmi nous. Mais ceux qui acceptent de se fondre dans ce moule, et ils sont des milliers, lorsqu’ils seront demain professeurs, juges, policiers ou colonels, à qui ira leur allégeance?«