« La ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna est en déplacement en Turquie ce lundi, avant une visite à Athènes le lendemain. L’occasion d’aborder plusieurs dossiers brûlants, au centre desquels la guerre en Ukraine » rapporte Blandine Lavignon dans Libération du 5 septembre 2022.
«La Turquie joue parfois un rôle positif». C’est en ces termes que Catherine Colonna, ministre française des Affaires étrangères, a résumé sa venue sur le sol turc. Arrivée ce lundi après-midi à Ankara, elle y a rencontré son homologue turc, Mevlüt Çavuşoğlu, avant une conférence de presse conjointe ainsi qu’un dîner. Une visite particulièrement chargée, dans le contexte de la guerre en Ukraine et après une vive escalade des tensions entre la Grèce et la Turquie ce week-end.
Au cœur de la rencontre, le sujet de la guerre en Ukraine a été âprement discuté entre les deux chefs de la diplomatie. Forte de son récent succès sur la réouverture de la route des céréales et entretenant de bonnes relations avec les deux belligérants, la Turquie tente de s’imposer comme un acteur modéré, un négociateur clef du conflit. Samedi dernier, le président turc Recep Tayyip Erdogan a par ailleurs proposé une médiation turque pour résoudre la crise de la centrale ukrainienne de Zaporijia.
Côté français, on estime qu’il «faut encourager la Turquie dans cette voie et s’assurer qu’elle reste bien en cohérence avec les efforts des Nations unies» selon les mots à la presse de la Ministre lundi matin. Autrement dit, notamment en l’incitant à s’accorder avec la politique des sanctions européennes vis-à-vis de Moscou, point crucial des discussions de ce lundi entre Catherine Colonna et Mevlüt Çavuşoğlu. Pour le moment, les sanctions ne sont pas appliquées par Ankara, qui considère que puisqu’elle ne participe au processus de décision européen, elle n’a pas à se calquer dessus.
Éviter le contournement des sanctions
Catherine Colonna, qui avait par ailleurs été la première du gouvernement français à se rendre à Kyiv le 30 mai dernier, s’inquiète que la Turquie ne devienne un moyen pour la Russie de contourner les sanctions européennes, ce que les Européens souhaitent éviter à tout prix. «La politique de sanctions que nous menons […] a un objectif qui est celui-ci : limiter le renouvellement de l’effort de guerre russe, faire comprendre à la Russie qu’elle a choisi une impasse, et donc dans ce cadre il est important que le plus grand nombre de pays possible fassent passer le même message. Il est important que nous nous penchions davantage sur la question du contournement des sanctions», a ainsi affirmé la ministre à Ankara.
D’après une source diplomatique française, l’objectif est de s’assurer auprès des autorités turques qu’une vigilance accrue se mettra prochainement en place sur cette question, à l’aide de moyens législatifs dissuasifs. Car les acteurs économiques, turcs comme russes, pourraient être tentés par les profits qui se profilent avec un tel contournement. Selon les chiffres officiels, les exportations turques vers la Russie entre mai et juillet ont ainsi augmenté de près de 50 % par rapport à l’année dernière.
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La question des tensions entre Athènes et Ankara
Les tensions entre la Grèce et la Turquie ont également été au menu de la rencontre entre les ministres turcs et français. Pour cause, le week-end dernier a été marqué par une escalade de tensions entre les deux pays voisins. Samedi dernier, Recep Tayyip Erdogan avait affirmé que les avions militaires grecs violaient l’espace aérien grec. «Si vous allez trop loin, le prix à payer sera lourd […] Le moment venu, nous ferons le nécessaire. Nous pouvons arriver subitement la nuit» avait-il menacé, provoquant l’indignation et l’inquiétude d’Athènes.
Depuis plusieurs semaines, les tensions reprennent entre la Grèce et la Turquie, tous les deux membres de l’Otan, alors que les dirigeants des deux pays sont en proie à des difficultés internes. Face à cet épineux dossier, la France souhaite mettre en avant une posture de puissance d’équilibre. «Nous souhaitons que les deux voisins et alliés de la France au sein de l’Otan, règlent leurs éventuels différends par la voie du dialogue», a ainsi déclaré Catherine Colonna dans la capitale turque. En 2021, Paris avait par ailleurs signé un accord de défense mutuelle avec la Grèce, espérant ainsi dissuader la Turquie de toute tentative de violation territoriale en Grèce et à Chypre.
Adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, la Syrie, processus d’adhésion turc à l’Union européenne… les autres dossiers de la rencontre
D’autres dossiers ont également été discutés entre les deux chefs de la diplomatie, comme l’éternelle question du processus d’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, avec en toile de fond la problématique de la question migratoire, régulièrement instrumentalisé par Ankara pour peser dans ses relations avec les pays européens. Mais aussi le récent dossier de l’adhésion de la Finlande et la Suède à l’Otan. Alors que le processus de ratification français est arrivé à son terme, la Turquie s’apprête à lui emboîter le pas. Initialement, Ankara avait opposé son véto à la demande d’adhésion des deux pays avant de rétropédaler. Erdogan reprochait aux deux pays une trop grande complaisance vis-à-vis du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, une organisation armée qu’elle considère comme terroriste.
Dans le contexte de sa lutte contre le PKK, la Turquie a par ailleurs relancé son offensive dans le nord de la Syrie le mois dernier, affirmant vouloir repousser les forces kurdes qui contrôlent les localités à la frontière turco-syrienne. Dans ce contexte, le brûlant dossier syrien a donc été l’objet d’échanges diplomatiques ce lundi, alors qu’Ankara pourrait envisager de faire évoluer sa position vis-à-vis du régime de Damas. Une hypothétique normalisation que souhaite à tout prix éviter Paris. Car côté français, la posture reste la même : pas de normalisation sans transition politique en Syrie.
Mardi, Catherine Colonna se rendra à Istanbul pour y rencontrer des acteurs de la société civile turque sur fond de répression accrue de leurs activités par le régime turc, avant de s’envoler pour la Grèce dans l’après-midi.
Libération, 5 septembre 2022, Blandine Lavignon