En Turquie, la répression tous azimuts s’attaque désormais aux grands patrons/COURRIER INTERNATIONAL

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Courrier International, le 25 février 2025

Après les militants d’opposition, la justice turque s’attaque désormais au monde de la culture, et même à celui de l’économie, en visant la plus grande organisation patronale du pays, dont deux influents responsables ont été brièvement arrêtés.

La répression contre les opposants s’intensifie en Turquie ces dernières semaines. Outre des journalistes, avocats et militants issus de l’opposition kurde ou kémaliste (laïque et nationaliste), de simples citoyens sont aussi visés par des procès pour “insultes au président de la République” au nom de messages publiés sur les réseaux sociaux.

Hilal Saraç, une astrologue, connue et suivie par des centaines de milliers de Turcs sur les réseaux, a ainsi été emprisonnée pour avoir publié un “bulletin de santé astrologique” de Devlet Bahçeli, leader de l’extrême droite et allié du président Recep Tayyip Erdogan, rapporte le média en ligne Diken.

Jusqu’en Syrie

Parfois même les frontières ne suffisent pas à les protéger. Un internaute turc originaire d’Istanbul, qui diffusait des vidéos comiques et critiques sur le pouvoir en narguant la censure depuis la Syrie où il s’était installé, a ainsi été identifié par la “division de lutte contre les crimes informatiques” et appréhendé en Syrie par la police turque, avant d’être incarcéré dans une prison turque, se réjouit l’agence de presse gouvernementale Anadolu. Elle souligne que 97 comptes sur les réseaux sociaux qui avaient relayé ces vidéos ont été fermés et font l’objet d’une enquête.

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La répression n’épargne pas non plus le monde de la culture. L’agente d’acteurs la plus connue et la plus influente de Turquie, Ayse Barim, accusée de “tentative de renversement du gouvernement” pour sa présence aux manifestations dites du “parc Gezi”, il y a douze ans, a été emprisonnée fin janvier. Et parmi les acteurs turcs les plus connus, appelés à témoigner contre elle, deux ont refusé et sont poursuivis pour faux témoignage.

Le 17 février, un juge du tribunal pénal d’Istanbul avait accepté la remise en liberté provisoire d’Ayse Barim, mais la décision a été annulée le jour même et le juge qui l’a rendue fait désormais lui-même l’objet d’une enquête, souligne le média en ligne Medyascope.

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Face à l’avalanche des procès et des arrestations, la Tüsiad, principale organisation patronale turque, a appelé publiquement à la fin de la répression et à l’indépendance de la justice. Une première dans l’histoire de l’organisation, tenue par la bourgeoisie kémaliste et qui rassemble 4 500 des plus grosses firmes du pays, représentant 80 % des exportations turques et 80 % du total national des recettes fiscales des entreprises.

Mal lui en a pris. Ses deux dirigeants, le patron des patrons, Orhan Turan, et son bras droit, Ömer Aras, ont été accusés de “tenter d’influencer le cours de la justice”, arrêtés et conduits le 19 février devant un juge, avant d’être laissés libres, avec une interdiction de quitter le territoire.

Image internationale

Les images des deux puissants patrons fermement maintenus par des policiers, diffusées notamment par la chaîne de télévision Halk TV, ont fait le tour des réseaux et provoqué une profonde surprise en Turquie.

Ces arrestations risquent d’avoir des répercussions sur l’image du pays et de freiner le plan de redressement de l’économie, entamé depuis deux ans par le ministre Mehmet Simsek, qui multiplie les voyages à l’étranger pour tenter de convaincre des investisseurs.

“Comment voulez-vous qu’il arrive à convaincre des entreprises européennes d’investir en Turquie alors que la justice n’y est pas fiable et que leurs employés risquent de se retrouver en prison ?” interroge ainsi l’eurodéputé socialiste espagnol Nácho Sanchez Amor, rapporteur du Parlement européen pour la Turquie, dans une interview au média en ligne T24.

Cette répression tous azimuts intervient alors que l’opposition a le vent en poupe, d’après une enquête du 24 février de l’institut Asal, réputé plutôt proche du pouvoir, qui a sondé la population en posant la question : “Pour quel parti voteriez-vous si une élection [présidentielle] avait lieu demain ? ” Le principal parti d’opposition, le CHP, dépasserait celui du président Erdogan dans les intentions de vote des Turcs, souligne le média en ligne Arti GerçekLa prochaine élection présidentielle n’est cependant prévue qu’en 2028.

Pour l’opposition, les attaques de la justice visent à effrayer la société turque et à mettre sur la touche le plus connu des opposants à Erdogan, Ekrem Imamoglu, le maire d’Istanbul, contre qui deux nouveaux procès se sont ouverts en février.

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“Nous n’accepterons pas, pas plus que des millions de personnes, qu’Ekrem Imamoglu soit écarté par des opérations politiques de la candidature à la présidence de la république”, prévient ainsi le porte-parole du CHP, rapporte le quotidien Habertürk.

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