Recep Tayyip Erdogan fait partie de ces dirigeants autoritaires qui, à l’instar de Benyamin Nétanyahou ou de Viktor Orbán, ont vu s’ouvrir devant eux un boulevard quand le président de la première puissance mondiale lui-même a commencé à s’asseoir sans état d’âme – et surtout sans opposition – sur les lois nationales et internationales. Si Donald Trump peut le faire, pourquoi pas nous ?, les a-t-on entendus penser très fort, alors qu’ils n’étaient déjà pas des parangons de démocratie et d’ouverture. C’est ainsi que le président turc n’a pas hésité à jeter tranquillement en prison son principal opposant, le très populaire maire d’Istanbul, afin qu’il dégage le chemin censé conduire à sa réélection. Après tout, c’est si simple, pourquoi se compliquer la vie ?
Sauf qu’il y a un moment où, quand on s’assoit et sur la loi, et sur la rue, on entre en dictature. La rue turque, justement, clame depuis la semaine dernière que c’en est assez. Erdogan osera-t-il passer outre, et surtout en force ? Sa décision de jeter des centaines de manifestants en prison, dont de nombreux journalistes qui couvraient ces événements, n’est pas de bon augure. Le président turc se sent renforcé par le contexte international, qui fait de lui un pivot indispensable à la sécurité des Européens. Sur le dossier ukrainien, il a très vite su ménager à la fois Kyiv (en lui livrant des armes) et Moscou (en aidant les Russes à contourner les sanctions). En Syrie, il a abandonné Bachar al-Assad au bon moment pour favoriser une transition plutôt pacifique du pouvoir. Il a engagé un processus de négociation avec les Kurdes du PKK, ses ennemis historiques. Et surtout, fort de son industrie d’armement, il pourrait être un soutien non négligeable du réarmement des Européens après le lâchage américain. La rue est donc prévenue : même si la répression plonge le pays dans la tourmente économique, Erdogan ne lâchera rien.