En sortant de la liste grise du blanchiment d’argent, la Turquie espère capter ces capitaux étrangers si cruciaux pour le pays – Clara Galtier / LE FIGARO

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Le gouvernement turc table sur un regain de confiance des investisseurs pour enrayer la spirale inflationniste.

Le Figaro, le 13 juillet 2024, par Clara Galtier

Dans un pays en pleine crise économique, la nouvelle était très attendue. C’est donc sans surprise que le gouvernement turc s’est empressé de révéler l’information, avant même l’annonce officielle. « Nous avons réussi », fanfaronnait, le 28 juin, le ministre de l’Économie sur sa page X, pour annoncer le retrait de la Turquie de la liste des pays sous surveillance du Gafi. Ankara y avait été rétrogradé en 2021 par ce gendarme de la criminalité financière, accusé de faillir à son devoir de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement d’activités illicites.

« Le Gafi estimait que la Turquie ne surveillait pas assez ses banques, on ne connaissait pas toujours l’origine des fonds », commente la chercheuse et économiste franco turque du Cepii, Deniz Unal. Ankara était soupçonné entre autres de s’acoquiner avec des organisations armées telles que l’État islamique ou le Hamas. Le ministre turc de l’Intérieur, Ali Yerlikaya, a affirmé vouloir « poursuivre avec détermination » les coups de filet contre la criminalité organisée, qui se sont multipliés ces derniers mois. Saluant ce changement de statut, le vice-président Cevdet Yılmaz a assuré qu’il aura « des conséquences extrêmement positives pour notre secteur financier. »

La décision du Gafi, créé par le G7 pour protéger le système financier mondial, est en effet une aubaine pour l’exécutif turc qui a lancé il y a un an un plan d’action pour redresser l’économie en proie à une crise inflationniste. Effrayés par la flambée des prix et la chute de la lire, les investisseurs étrangers ont déserté le pays ces dernières années. Un drame, pour un État comme la Turquie, qui souffre d’un déficit commercial structurel, dû à sa dépendance aux importations d’énergie. Le gouvernement compte sur la confiance restaurée à l’international pour soutenir la devise nationale et canaliser l’inflation. Sur les trois premiers mois de l’année, les investissements directs étrangers (IDE) ont encore accusé une baisse de 52 % par rapport à la moyenne trimestrielle des trois années précédentes, pour un montant de 1,5 milliard de dollars, selon l’Association internationale des investisseurs.

Afflux vers les obligations turques

La sortie de la liste grise devrait diminuer la prime de risque perçue par les investisseurs et réduire les coûts de financement pour la Turquie. Les perspectives étaient déjà en voie d’amélioration pour Ankara. En janvier, Moody’s a révisé sa perspective sur la note souveraine de stable à positive. Fitch a aussi amélioré d’un cran sa notation en mars. Fin mai, les investisseurs ont afflué vers les obligations en livres turques à un rythme record, rapporte Bloomberg, enhardis par les promesses d’orthodoxie monétaire et les perspectives de baisse de l’inflation. Le montant de la dette publique turque en livres détenues par des étrangers a plus que triplé cette année, pour atteindre 8,2 milliards d’euros. Une renaissance.

Erdogan a bel et bien décidé de rompre avec sa politique monétaire peu conventionnelle, axée sur le crédit à bas coût pour stimuler la croissance. Face à une hyperinflation sans précédent et le péril d’une crise de la balance des paiements, il s’était résolu en juin 2023 après sa réélection à confier les finances du pays à Mehmet Simsek et Hafize Gaye, deux ex-banquiers d’affaires à New York, nommés respectivement ministre de l’Économie et gouverneur de la banque centrale. L’institution, qui a recouvré semble-t-il une certaine indépendance, a relevé son taux directeur de 8,5 à 47 %. Un remède de cheval encore peu efficace alors que les taux d’intérêt restent bien en deçà de l’inflation, rendant le processus de désinflation chaotique.

Seuil de pauvreté au-dessus du smic

De plus, les chiffres officiels sont toujours très contestés. Certes, l’indice des prix a ralenti pour la toute première fois à 71,6 % sur un an en juin, contre 75,45 % en mai, après des mois de hausse continue. Mais les économistes indépendants du think-tank Enag soutiennent qu’il dépasse en réalité les 100 %. L’institut turc des statistiques a arrêté de publier la liste des prix de 400 articles qui constituent la base des calculs de l’inflation, depuis juin 2022. Une confédération syndicale a porté le litige devant la justice, sommant l’organisation de publier les chiffres.

Pour enrayer la spirale de la hausse des prix, le gouvernement turc n’a pas relevé le salaire minimum au 1er juillet, autour de 520 dollars, comme il l’avait fait les deux années précédentes. Les chiffres sont à peine croyables : le smic turc est passé de 2500 lires à 17.500 lires. Avec les prix des loyers, transports et aliments qui ne cessent de grimper, le seuil de pauvreté remonte bien plus vite que les hausses de salaires et les Turcs souffrent plus que jamais. Dans les grandes villes, trouver un appartement décent avec un loyer en dessous de 20.000 lires est une gageure.

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