« La presse turque de gauche, hostile au président Recep Tayyip Erdogan, plaide pour une reconnaissance officielle des événements tragiques de septembre 1955. Surtout, elle s’inquiète de leur possible résurgence, alors que les attaques contre les minorités se multiplient et qu’un regain de tension s’opère avec la Grèce » dit Courrier International du 8 septembre 2022.
Cette année en Turquie, l’anniversaire des pogroms antigrecs des 6 et 7 septembre 1955, d’ordinaire assez peu marqué, a été assez largement couvert par la presse. Peut-être la rançon du succès de la série Netflix Le Club. Celle-ci est la première production audiovisuelle turque à s’intéresser aux minorités non musulmanes du pays et à traiter de ces événements tragiques – en en faisant même le point culminant de la saison 2 ?
Le quotidien de gauche Birgün fait l’inventaire des destructions opérées à Istanbul, suite à la diffusion, par le parti au pouvoir, d’une fausse rumeur sur un attentat perpétré contre la maison où était né Mustafa Kemal Atatürk, à Thessalonique.
En quelques heures dans la nuit du 6 septembre, 4 000 maisons, 1 000 commerces et 73 lieux de culte appartenant à des Grecs sont pillés, plusieurs centaines de viols sont commis, des religieux orthodoxes sont circoncis de force en pleine rue. Le pogrom, qui fera une quinzaine de morts, poussera les derniers Grecs d’Istanbul – mais aussi une partie des Juifs et des Arméniens –à quitter définitivement le pays.
Les minorités toujours prises pour cible
Outre la prise de conscience progressive de cette tragédie longtemps restée taboue, la presse turque se penche sur l’actualité du sujet comme le fait un éditorialiste du quotidien arménien de Turquie Agos : “On commence à regarder en face ces événements, mais peut-on pour autant dire que l’on a vraiment réglé nos comptes avec cette histoire ? […] À travers le pays, les attaques répétées contre les Kurdes, les alévis [une minorité religieuse hétérodoxe] et les migrants [venus majoritairement de Syrie] prouvent que cette propension au lynchage demeure bien vivante dans la société.”
Le quotidien de gauche Evrensel cite à ce propos les déclarations de représentants du HDP – Parti démocratique des peuples, principal parti d’opposition, qui rassemble les Kurdes et la gauche turque : “Nous savons que les pouvoirs politiques peuvent être tentés, pour masquer une crise économique, politique et sociale, d’avoir recours à ce genre de méthodes.”
“Aujourd’hui, les discours de haine persistent dans ce pays, ils visent simplement d’autres peuples et d’autres religions.”
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Le député HDP d’origine arménienne Garo Paylan a déposé une proposition de loi visant à faire du 6 septembre “un jour de mémoire”, à créer un “musée du pogrom” et à indemniser les victimes ou leurs familles, rapporte par ailleurs le quotidien.
Dans la presse minoritaire et de gauche, la crainte d’une montée des tensions en pleine crise économique et à l’approche des élections présidentielles si importantes de juin 2023 le dispute à celle créée par les déclarations guerrières de Recep Tayyip Erdogan. “Nous pouvons arriver soudainement en pleine nuit”, a déclaré le 3 septembre le président turc, menaçant la Grèce avec laquelle la tension monte ces derniers mois. “C’est le même discours martial qu’à l’époque, pendant ces nuits d’horreur où les radios d’état ont diffusé en boucle des chants militaires et des chansons guerrières”, s’inquiète le média en ligne Gazete Duvar.
Courrier International, 8 septembre 2022