La Turquie, la Bulgarie et la Roumanie, trois pays bordés par la mer Noire, ont signé jeudi à Istanbul un accord de lutte contre les mines déployées par la Russie et l’Ukraine. Une opération devenue indispensable face aux dangers que représentent ces engins flottants pour les pêcheurs et les navires céréaliers.
Le 12 janvier 2024, France 24.
C’est le début d’une opération de nettoyage qui pourrait durer plusieurs années. La Turquie, la Bulgarie et la Roumanie, trois membres de l’Otan, se sont alliés jeudi 11 janvier pour débarrasser la mer Noire des mines flottantes qui, dans le cadre du conflit ukrainien, entravent la navigation internationale et perturbe la pêche à proximité de leurs côtes.
« Nous avons décidé conjointement de signer un protocole entre nos trois pays afin de lutter plus efficacement contre le danger des mines en mer Noire en renforçant notre coopération et notre coordination existantes », a déclaré le ministre turc de la Défense Yasar Güler en présence de ses homologues roumains et bulgares réunis à Istanbul dans un palais sur le Bosphore.
L’initiative doit permettre de sécuriser la voie alternative de navigation empruntée par les navires pour acheminer les exportations de céréales ukrainiennes depuis la fin du corridor céréalier dénoncé par la Russie à l’été 2023. À l’époque, l’armée russe avait indiqué qu’elle prendrait pour cible les bateaux transitant par les ports ukrainiens. Une menace qui n’a jamais été mise à exécution. Kiev a toutefois accusé Moscou en octobre d’avoir largué par avion des mines marines pour perturber la circulation des navires civils sur la nouvelle route.
« Depuis la fin de l’accord, le trafic maritime s’est poursuivi par une forme de cabotage le long des côtes roumaines et bulgares », explique Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble et chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes d’Istanbul. « Avec cet accord, la Turquie cherche à limiter les effets de la guerre en Ukraine et se positionne en puissance de règlement en mer Noire où elle contrôle les détroits et qui reste un espace d’intervention naturelle pour Ankara », ajoute l’expert.
Le risque des mines à la dérive
Après des mois de négociations entamées en septembre, la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie ont convenu d’un système de présidence tournante de six mois pour diriger l’alliance. La marine turque semble toutefois la mieux équipée avec 11 navires spécialisés, dont cinq de la classe Circé acquis auprès de la France à la fin des années 1990, rapporte le site spécialisé opex360.
Pour mener la chasse aux engins explosifs, deux grands types de bâtiments sont utilisés par les marines du monde entier : les chasseurs qui utilisent un sonar pour la détection puis font intervenir un robot ou un plongeur démineur. Et les dragueurs de mines qui vont patrouiller dans une zone susceptible d’être piégée pour faire exploser les mines à l’aide d’un dispositif mécanique, acoustique ou magnétique.
Mais ces opérations visant à déminer la mer Noire et la mer d’Azov pourraient prendre du temps, selon Kiev. « Le déminage des routes de communication et routes commerciales maritimes devrait durer de 3 à 5 mois selon des estimations, tandis que l’opération de déminage complète devrait prendre 3 à 5 ans », a indiqué Dmytro Pletenchuk, le porte-parole de la marine ukrainienne.
Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, plusieurs centaines de ces explosifs ont été immergés par les deux belligérants. Peu coûteuses et faciles à déployer, les mines marines infestent tout particulièrement le golfe d’Odessa, port ukrainien stratégique de la mer Noire. Pour se prémunir d’un débarquement russe, les Ukrainiens ont reconnu avoir installé des mines à orin, c’est-à-dire lestées par un câble pour les maintenir à la surface ou à faible profondeur.
Mais il arrive qu’en raison du mauvais temps, ces mines rompent leur ancrage et commencent à dériver. Un mois après le déclenchement des hostilités en Ukraine, en mars 2022, une mine dérivante à l’entrée du Bosphore avait inquiété les pêcheurs turcs. Depuis, plusieurs engins flottants ont été repérés et repêchés sans dommage. Mais fin décembre, un cargo battant pavillon panaméen qui se dirigeait vers un port ukrainien pour y charger des céréales a heurté une mine et deux marins ont été blessés.
« La Turquie reste prudente avec la Russie »
Après la signature de l’accord, l’Otan a immédiatement salué « une importante contribution à une plus grande liberté de naviguer et à la sécurité alimentaire dans la région et au-delà ».
Alors que les trois signataires appartiennent à l’Alliance atlantique, le ministre turc a toutefois souligné que « cette initiative ne sera ouverte qu’aux navires des trois pays alliés côtiers ». Il exclut ainsi de fait l’intervention de pays extérieurs, dont ceux de l’Otan, afin de ne pas contrevenir à la Convention de Montreux, signée en 1936, qui régit la navigation dans le Bosphore en temps de guerre. Celle-ci reconnaît la libre circulation pour le trafic des navires civils mais introduit des restrictions pour les bâtiments militaires
Avec cet accord, « la Turquie veille au respect de la Convention de Montreux », estime Sinan Ülgen, chercheur membre de l’institut Carnegie Europe. « Ankara ne souhaite pas ouvrir le passage aux navires de l’Otan et a préféré agir avec les pays riverains », explique-t-il à l’AFP.
Début janvier, la Turquie a d’ailleurs rappelé à son « allié britannique » – qui a offert deux bâtiments démineurs de la Royal Navy à l’Ukraine – « que ces navires ne seront pas autorisés à traverser le détroit tant que la guerre se poursuivra », ajoute Sinan Ülgen.
Selon Ankara qui, depuis le début des hostilités, cherche à ménager ses relations avec Moscou et Kiev, l’accord « n’a pas été formé contre ou comme alternative à un pays ou à une structure, mais a été créé uniquement à des fins défensives ».
« La Turquie reste prudente avec la Russie mais consacre en même temps la poursuite des exportations ukrainiennes, quand bien même Moscou a dénoncé l’accord céréalier », note Jean Marcou, qui considère que cette alliance pourrait contrarier Vladimir Poutine, malgré les précautions prises par les signataires.
« Cette nouvelle alliance confirme le rôle central que joue la Turquie dans ce dossier et qui avait été très apprécié dans les pays du ‘Sud global’ après la signature du premier accord céréalier. Ankara continue de jouer les cartes qui sont à disposition en tant que pays riverain de la mer Noire, gardienne des détroits et membre de l’Otan ayant une relation avec la Russie », analyse Jean Marcou.
Si seules la Turquie, la Roumanie et la Bulgarie seront amenées à opérer en mer Noire dans les prochains mois, « les contributions d’autres acteurs seront possibles au fil du temps lorsque les conditions seront remplies », a indiqué le ministre turc de la Défense. Une manière de renvoyer aux calendes grecques et à la fin des hostilités entre l’Ukraine et la Russie.