A 2 semaines des élections générales, le président turc semble, à première vue, mal en point, à tous les sens du terme. France Inter, podcast, le 28 avril 2023. Pour écouter.
L’image a fait le tour du monde et déclenché un torrent de rumeurs sur l’état de santé du président turc.
Mardi soir, Recep Teyip Erdogan, livide, a dû arrêter une interview télévisée au bout de 15 minutes. Et dans la foulée il a tout annulé pendant 48h, victime officiellement d’une grippe intestinale.
Il n’est réapparu qu’hier après-midi, toujours blafard, pour un échange en visio avec un Vladimir Poutine très chaleureux.
Erdogan, 69 ans, depuis 20 ans au pouvoir, devait se sentir bien affaibli pour tout arrêter, lui qui tenait alors 3 meetings par jour pour refaire son handicap sur son rival, 4 points de retard en moyenne dans les sondages.
Son opposant, Kemal Kiliçdaroglu, mène une bonne campagne, malgré son peu de charisme. Il apparait calme et sérieux, bénéficie du soutien de 6 partis et d’un appui tacite de la minorité kurde. Il a même réussi à assumer publiquement sa foi alevi : pas facile, c’est une branche minoritaire de l’Islam.
Le bilan catastrophique du séisme de février (55.000 morts au moins, sans doute plus) a terni l’image d’Erdogan. Tout comme l’inflation galopante (entre 50 et 90% selon les chiffres), conséquence d’une étrange politique monétaire.
Donc oui, Erdogan est mal embarqué. Il peut perdre dans 16 jours.
Et ça ne déplairait pas aux capitales occidentales, irritées par le double jeu du sultan turc avec la Russie et par sa dérive religieuse et autoritaire.
Une grippe intestinale qui tombe mal
Mais il faut faire attention à ne pas confondre désir et réalité, attention à ne pas enterrer Erdogan trop vite.
Il peut encore gagner.
D’abord par le biais d’une cohabitation : perdre la présidentielle mais voir son parti islamo-conservateur AKP remporter les législatives, qui s’annoncent elles aussi très serrées. Erdogan pourrait alors devenir premier ministre.
Mais il peut aussi s’imposer sur le fil dans la présidentielle. Son retard n’est pas insurmontable.
Il mise d’abord sur les Turcs de l’étranger, qui votent depuis hier : 3 millions et demi d’électeurs. Les gros contingents sont en Allemagne et en France. La dernière fois, ils avaient voté Erdogan à plus de 60% !
Sur le sol turc ensuite, le président conserve un socle de fidèles. Pas dans les grandes villes. Mais ailleurs.
Les raisons de ce soutien sont multiples : adhésion à son idéologie religieuse conservatrice, fascination pour son charisme de prêcheur, admiration pour sa capacité à faire de la Turquie un pivot international, confiance dans son aptitude à combattre le terrorisme kurde.
En fait le sort du scrutin dépend d’une inconnue : le choix des jeunes, 6 millions de primo-votants, 10% de l’électorat.
Le risque du refus de la défaite
Et puis Erdogan n’est pas du genre à aimer la défaite.
Et ça conduit à une autre hypothèse : qu’il ne respecte pas le verdict des urnes.
Il peut favoriser un tripatouillage. Dans les zones touchées par le séisme, la sécurité du scrutin n’est pas garantie. Et le président possède la haute main sur les juges du tribunal électoral, il les a tous nommés !
En fait, le système est organisé pour qu’il gagne.
Erdogan peut aussi trouver un prétexte, en cas de défaite, pour invalider le scrutin, refuser de partir. Instaurer un état d’urgence pour un motif ou un autre.
En 2016, le coup d’état manqué d’une partie de l’armée lui a servi d’alibi pour une purge générale qui ne s’est pas arrêtée depuis.
Enfin il n’est pas d’exemple, à l’exception du Maroc il y a 2 ans, d’un parti se revendiquant de l’islam politique, qui soit contraint par les urnes de quitter le pouvoir. Donc là encore, territoire inconnu.
Pour toutes ces raisons, de nombreux diplomates occidentaux regardent ces élections en Turquie, comme le scrutin le plus important de l’année.
Et jamais grippe intestinale n’a été autant surveillée dans toutes les capitales.