A l’occasion du procès de onze membres du Parti des travailleurs du Kurdistan, qui s’est tenu du 4 au 14 avril à Paris, la défense a posé avec acuité la question du caractère terroriste de cette organisation kurde en guerre contre l’Etat turc. Par Christophe Ayad dans Le Monde du 15 avril 2023.
Onze membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont été condamnés, vendredi 14 avril, par le tribunal correctionnel de Paris à des peines allant de trois ans avec sursis à cinq ans d’emprisonnement dont un avec sursis pour financement du terrorisme. Deux des prévenus étaient jugés par défaut. Ce procès était le premier du genre depuis une décennie. A partir de l’assassinat, le 9 janvier 2013, de trois cadres dirigeantes du mouvement par un présumé agent turc infiltré, le parquet antiterroriste avait mis la pédale douce sur les poursuites pour financement visant le PKK.
Ce financement, surnommé « kampanya », est la principale source de revenus du PKK et prend la forme d’un impôt révolutionnaire et contraint, prélevé parmi les membres de la communauté kurde vivant à l’étranger, notamment en France. Outre le financement, les prévenus étaient poursuivis pour « extorsion » et « association de malfaiteurs terroriste » en raison de leur appartenance présumée au PKK, inscrit depuis 2002 sur la liste européenne des organisations terroristes.
Dès l’ouverture du procès, les avocats de la défense ont contesté la qualification terroriste retenue pendant l’enquête et au moment du renvoi pour un procès. Me Raphaël Kempf a demandé, au nom de l’ensemble de ses confrères, l’annulation de l’ordonnance de renvoi. Le tribunal a renvoyé la réponse à cette requête au délibéré final.
« Schizophrénie »
L’audience a alors rapidement tourné au dialogue de sourds entre une présidente, Murielle Desheraud, prenant garde de ne s’en tenir qu’au dossier et rien qu’au dossier, et des prévenus niant les faits en bloc, y compris l’évidence attestée par des écoutes. Tout comme ils ont nié leur appartenance au PKK en arguant que le mouvement se trouve au Kurdistan, « dans les montagnes ».
Là n’était pas l’intérêt de ce procès, qui traitait de faits connus et récurrents. Un prévenu, Gokhan B., a bien résumé les enjeux : « Vous pouvez me considérer comme un militant. Vous auriez fait exactement la même chose que ce que j’ai fait pour mon peuple si vous aviez mon parcours. (…) Dans ces dossiers, vous ne regardez la balance de la justice que sous un angle, essayez de regarder des deux côtés. »
Le PKK peut-il être traité de la même manière qu’il y a une décennie, alors que la Turquie s’enfonce dans la dictature ? Le mouvement kurde peut-il être traité de terroriste, alors qu’il a fourni une contribution décisive à la guerre contre l’organisation Etat islamique (EI), qu’il a combattue au sol en Syrie et en Irak, avec l’appui de la coalition internationale dont la France fait partie ? N’y a-t-il pas une « schizophrénie » à donner l’asile à des Kurdes de Turquie pour leur appartenance au PKK et à les poursuivre pour les mêmes faits, comme l’a fait remarquer Me David Andic ?
Le droit n’est pas une matière sous vide et il ne peut faire abstraction de la géopolitique. Le sénateur communiste de Paris Pierre Laurent, qui fait partie des personnalités politiques, de plus en plus nombreuses, à demander le retrait du PKK de la liste des organisations terroristes de l’Union européenne, est venu le rappeler à la barre.
Le PKK « ne vise absolument pas la France »
Les avocats ont demandé au tribunal de suivre l’exemple de la justice belge, qui a estimé, en 2020, que les membres du PKK ne pouvaient être poursuivis pour terrorisme, car l’organisation doit être considérée comme « une force armée non étatique » impliquée dans un conflit armé. Pour Mᵉ Romain Ruiz, le PKK « ne vise absolument pas la France ». Contrairement aux djihadistes, il « ne remet pas en cause notre modèle de société » et ne trouble pas « l’ordre public international ».
Dans son réquisitoire, le procureur Xavier Laurent, manifestement bon connaisseur de la question kurde, a reconnu que « les injustices [que les prévenus] dénoncent méritent d’être entendues, pas pour donner un blanc-seing, mais pour comprendre ». Mais « il n’est pas question de savoir qui est le bon, et qui est le mauvais, il est question de droit », a-t-il insisté. Le tribunal n’a pas à faire de « politique ». Pour le magistrat, le PKK reste un mouvement terroriste pour trois raisons : il « n’a pas déposé les armes », a des « modes opératoires qui sont toujours ceux d’une organisation terroriste », et commet « des actes de terrorisme dans un Etat tiers souverain », la Turquie. Pour illustrer son propos, il a usé d’une comparaison : « Ce serait du terrorisme de tuer des policiers en France et pas en Turquie ? Cela ne tient pas. »
Le tribunal l’a suivi dans son raisonnement. « Si des membres ou des sympathisants du PKK sont indéniablement intervenus sur le front irako-syrien et ont combattu des groupes djihadistes », le PKK « ne saurait se définir uniquement par cette action » et son « caractère terroriste » est avéré, a argumenté la présidente, Mme Desheraud. « Un certain nombre d’attentats ont pu être attribués au PKK en Turquie », a-t-elle poursuivi, mentionnant aussi des « actions violentes » en France, comme les dégradations de bâtiments ou de véhicules appartenant à des diplomates turcs.
Preuve de la complexité du sujet, le tribunal a suivi les réquisitions du parquet et n’a pas ordonné d’interdiction du territoire, comme c’est habituellement le cas en matière de terrorisme, en vertu « du statut de réfugié » de la plupart des prévenus.