« Exilé aux Émirats, le baron de la pègre Sedat Peker publie régulièrement des vidéos au contenu explosif sur Internet. Les dernières en date accusent le parti AKP de corruption. Elles ont déjà provoqué la démission de deux conseillers du président, Recep Tayyip Erdogan » dit Courrier International du 5 septembre 2022.
Un nouveau scandale de corruption secoue la Turquie après les dernières révélations du célèbre mafieux en exil Sedat Peker. Ancien proche du pouvoir islamo-nationaliste, l’homme avait même organisé des meetings en soutien au président Recep Tayyip Erdogan. Après avoir fui le pays en 2019, il avait dénoncé les malversations commises par des proches du pouvoir dans une série de vidéos mises en ligne à partir 2021.
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Cette fois, ce sont deux conseillers du président turc qui ont fait les frais de ses révélations : ces derniers auraient été impliqués dans un réseau de corruption et de malversations financières pesant sur les entreprises turques désireuses d’entrer en Bourse. Korkmaz Karaca a annoncé sa démission – officiellement pour “raisons de santé” – tandis que Serkan Taranoglu a été démis de ses fonctions, rapporte le quotidien d’opposition kémaliste Sözcü. Un éditorialiste du journal déplore :
“Dans un autre pays, un pour cent de ces révélations déclencherait une tempête politique, la justice se saisirait immédiatement de l’affaire, mais chez nous il ne se passe rien, pas même une commission d’enquête parlementaire.”
Unsal Ban, l’époux d’une députée du Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir), serait à l’origine d’une partie des révélations. Il a été arrêté alors qu’il tentait de fuir le pays en passant en Grèce par la mer, selon les autorités. La députée en question, Zehra Taskesenlioglu, est mise en cause en même temps que son frère, directeur du Conseil des marchés des capitaux, organisme public chargé de réglementer le secteur financier turc. Elle nie en bloc les accusations, arguant que son époux était le seul à être impliqué dans des opérations douteuses. “J’ai d’ailleurs demandé le divorce, et c’est pour tenter d’influencer cette procédure et nuire à ma réputation qu’il a lancé ces accusations”, a-t-elle ainsi déclaré, rapporte le quotidien Cumhuriyet.
Un atout dans la manche d’Abou Dhabi
Le média d’opposition en ligne T24 s’étonne, lui, de la liberté de parole accordée au parrain turc depuis son exil émirati, alors qu’Ankara et Abou Dhabi, longtemps rivaux dans la région, ont enterré la hache de guerre en février dernier.
“Que répondent les Émiratis aux appels du MIT [les services de renseignement turcs] ou du palais présidentiel ? Se moquent-ils ouvertement d’Ankara en déclarant que ‘la liberté d’expression est pour nous une valeur fondamentale que nous ne saurions bafouer’ ?”, s’interroge le média. Pour T24, la “carte Peker” est un atout dans la manche d’Abou Dhabi qui n’est pas près de s’en défaire. Par ailleurs, les investissements et les accords de financement signés par les Émirats avec la banque centrale turque empêchent Ankara de durcir le ton, dans le contexte d’une importante crise économique dans le pays.
Régulièrement visé par les déclarations du parrain dont il aurait été le protecteur par le passé, le ministre de l’Intérieur turc, Suleyman Soylu, a porté plainte, et un procureur turc vient de requérir huit ans d’emprisonnement contre Sedat Peker, rapporte le média en ligne Gazete Duvar. L’audience du procès est prévue pour le 17 janvier, mais il est peu probable que l’on y retrouve l’excentrique malfaiteur.
Courrier International, 5 septembre 2022