La Croix, 30 juillet 2021, Caroline Vinet, image: Reuters
La Turquie construit actuellement un mur à sa frontière avec l’Iran pour empêcher le passage des migrants. Alors que les talibans menacent de reprendre le pouvoir en Afghanistan, Ankara craint – et anticipe – une nouvelle vague migratoire d’Afghans sur son sol.
Bloc de béton après bloc de béton, le gigantesque mur prend forme. Planté à la frontière entre l’Iran et la Turquie, le long de la province de Van, il devrait mesurer à terme 295 kilomètres de long pour 3 mètres de hauteur. Un monstre de béton surplombé de barbelés et précédé d’une large tranchée pour prévenir ce qu’Ankara anticipe comme une nouvelle vague migratoire massive venue cette fois-ci d’Afghanistan.
Le retrait des troupes américaines et la montée en puissance des talibans ont précipité l’exode de nombreux Afghans fuyant les combats. Début juillet déjà, entre 500 et 1 000 Afghans – pour la plupart des hommes de 16 à 25 ans – arrivaient illégalement chaque jour en Turquie via l’Iran, selon les informations du média turc T24. La tendance devrait s’accélérer dans les prochaines semaines.
Début de l’exode des Afghans
« Les avions au départ de Kaboul sont pleins », raconte la chercheuse et co-fondatrice du centre de recherches Samuel Hall basé à Kaboul, Nassim Majidi. « La classe moyenne part par voie aérienne, et ceux qui n’ont pas les moyens prennent la route vers le Pakistan ou l’Iran », passage obligé pour se rendre en Turquie avant d’espérer, peut-être, rejoindre l’Europe.
L’Iran a longtemps accueilli les exilés afghans, leur octroyant le statut de réfugié. Mais là encore, la situation s’est dégradée ces dernières années sous le coup des sanctions américaines. « On observe de plus en plus de familles afghanes quitter l’Iran où elles ont vécu et grandi pour aller en Turquie, et quand elles se font arrêter à la frontière turque on leur enlève leurs papiers de réfugiés avant de les expulser vers l’Afghanistan », déplore Nassim Majidi.
La Turquie, garde-frontière de l’Europe
Les exilés afghans n’ont pas les mêmes droits que leurs homologues syriens en Turquie : ils ne bénéficient ni du statut de réfugié, ni d’un accès encadré à l’aide sociale et humanitaire. De fait, ils constituent la majorité des migrants sans-papiers dans le pays. Estimés à 800 000, ils représentent la deuxième nationalité de migrants en Turquie derrière les Syriens (3,7 millions).
Si les autorités turques assurent ne pas enregistrer d’augmentation du nombre d’Afghans sur son territoire, la situation est prise très au sérieux. Mercredi 28 juillet, les garde-côtes turcs ont annoncé l’arrestation de plus de 200 migrants irréguliers – la plupart de nationalité afghane et syrienne – qui s’apprêtaient à prendre la mer pour rejoindre la Grèce. Soit le groupe le plus important de migrants irréguliers arrêtés depuis le début de l’année.
Ankara aimerait réviser l’accord migratoire qu’elle a signé avec l’UEen 2016. « La Turquie ne sera ni le garde-frontière, ni le camp de réfugiés de l’Union européenne », a vertement réagi le ministère des Affaires étrangères après que le chancelier conservateur autrichien Sebastian Kurz a assuré, dimanche 25 juillet, que la Turquie était « un lieu plus adapté » que les pays européens pour les réfugiés afghans.