« L’ambassadeur de France a été convoqué au ministère turc des Affaires étrangères, lundi. Ankara dénonce la « propagande » contre de la Turquie de certaines organisations établies dans l’Hexagone » dit France Info du 28 décembre 2022.
Le meurtre de trois Kurdes dans le 10e arrondissement de Paris, vendredi 23 décembre, ravive un sujet sensible entre la France et la Turquie. Emine Kara, responsable du mouvement des femmes kurdes en France, Mîr Perwer, un jeune auteur-compositeur, et Abdurahman Kizil, militant politique, ont été abattus près d’un centre culturel kurde, situé rue d’Enghien. L’auteur présumé des faits, un conducteur de train à la retraite, affirme avoir agi pour des motifs « racistes ».
Mais cette explication ne convainc pas totalement la communauté kurde, qui pointe du doigt le pouvoir turc. « Le régime fasciste d’Erdogan a encore frappé », a affirmé Agit Polat, président du Conseil démocratique kurde en France (CDK-F), lors d’une marche en mémoire des victimes lundi 26 décembre. Le parcours de ce rassemblement menait les manifestants jusqu’à un immeuble de la rue Lafayette, où trois militantes kurdes avaient été tuées d’une balle dans la tête en janvier 2013. Ce triple assassinat reste dans les mémoires. Car si les poursuites contre l’auteur présumé des meurtres se sont éteintes après sa mort d’un cancer, en 2016, l’enquête avait révélé des liens entre le suspect et les services secrets turcs. Les investigations ont été relancées en 2019, mais n’ont toujours pas abouti.
Ankara dénonce une propagande contre la Turquie
Dans le cas de l’attaque du 23 décembre 2022, Agit Polat s’est dit « incrédule » face aux premiers éléments de l’enquête, qui n’établissent pas de lien entre le suspect et la Turquie. « Le fait que nos associations soient prises pour cible relève d’un caractère terroriste et politique », a assuré le président du CDK-F. C’est aussi ce qu’a avancé l’avocat du mouvement.
Le parquet national antiterroriste (PNAT) n’a, à ce jour, pas été saisi de l’affaire. Une erreur, selon Jean-Luc Mélenchon. Le lendemain de l’attaque, la figure de La France insoumise a réclamé une saisine du PNAT, lors d’un rassemblement en soutien à la communauté kurde. « Nous pensons qu’il n’y a pas de hasard et que ce qui s’est produit est un acte terroriste qui visait des militants politiques », a-t-il lancé face à la foule, place la République à Paris.
Ankara a vivement réagi à ces accusations. Dimanche 25 décembre, un conseiller du président Recep Tayyip Erdogan a critiqué les violences survenues à Paris après le triple assassinat. La veille, un rassemblement en mémoire des victimes avait en effet été émaillé par des heurts entre les forces de l’ordre et des membres de la communauté kurde, affichant leur soutien au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Cette organisation est considérée comme terroriste par la Turquie. « Le même PKK qui a tué des milliers de Turcs, de Kurdes et des forces de sécurité au cours des 40 dernières années. Maintenant, ils brûlent les rues de Paris. Allez-vous toujours garder le silence ? », a fustigé le conseiller d’Erdogan, dénonçant en creux une forme d’ambivalence du gouvernement français vis-à-vis du PKK.
De nombreux sujets de crispation depuis 2020
Ce parti est en effet également considéré comme une organisation terroriste par l’Union européenne, dont fait partie la France. Mais certaines associations proches du PKK, comme le CDK-F, sont très actives dans l’Hexagone. « Il y a [de la part des Turcs] une haine à l’égard du PKK, dont le séparatisme est perçu comme une menace existentielle, argue Didier Billion, géopolitologue et spécialiste des relations entre l’Union européenne et la Turquie, auprès du Parisien. Toute manifestation de soutien au PKK dans le monde est donc très mal vue en Turquie. »
Nouveau signe de ces tensions accrues : l’ambassadeur de France en Turquie, Hervé Magro, a été convoqué par le ministère turc des Affaires étrangères, lundi 26 décembre. « Nous avons exprimé notre mécontentement face à la propagande lancée contre notre pays par les cercles du PKK », a justifié un diplomate turc auprès de l’AFP, accusant des politiciens français de reprendre cette « propagande ».
Ces nouvelles crispations interviennent dans un contexte de refroidissement des relations entre Ankara et Paris depuis deux ans. En 2021, Emmanuel Macron avait ainsi remis en cause la place de la Turquie au sein de l’Otan. L’année précédente, il y avait eu « sans arrêt des accrochages » entre les deux pays, qui étaient « significatifs d’une relation qui s’est détériorée », illustrait alors Jean Marcou, professeur à Sciences-Po Grenoble et chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes à Istanbul.
Le spécialiste listait notamment « la situation en Méditerranée orientale, au moment de l’explosion au Liban », mais aussi au Mali, « où le ministre des Affaires étrangères turc s’était rendu juste après le coup d’Etat », ou encore dans le Caucase, « à propos du conflit (…) entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie ». Ces tensions avaient culminé lors que Recep Tayyip Erdogan s’était interrogé sur la « santé mentale » de son homologue français, après qu’Emmanuel Macron avait évoqué la nécessité de « structurer l’islam » en France.
France Info, 28 décembre 2022, Photo/Lewis Joly/AP