Le président turc, en campagne pour sa réélection, semble avoir fait un malaise pendant une interview télévisée, et a dû annuler deux jours de meetings. Par Paméla Rougerie dans Le Parisien du 28 avril 2023.
Un malaise qui tombe au pire moment. Depuis plusieurs jours, l’état de santé du président Recep Tayyip Erdogan est au cœur des spéculations en Turquie, après une curieuse interruption d’une interview du chef de l’État à la télévision, et deux jours de meetings annulés. Des inquiétudes qui mettent à mal l’homme politique, en pleine campagne pour sa réélection à la tête du pays.
Que s’est-il passé ?
Mardi, sur les chaînes turques Ulke TV et Kanal 7, le président Erdogan, âgé de 69 ans, a dû interrompre son entretien au bout de dix minutes – entretien qui avait commencé avec plus de 90 minutes de retard. Difficile de savoir ce qu’il s’est précisément passé : lorsque l’incident s’est produit, la caméra était orientée vers le journaliste interrogeant Erdogan. L’intervieweur s’est ensuite levé de sa chaise avant que l’émission ne soit coupée.
Quinze minutes plus tard, le président Erdogan est revenu en s’excusant d’avoir été malade. « Hier et aujourd’hui, il y a eu beaucoup de travail. À cause de cela, j’ai attrapé une grippe intestinale », a-t-il expliqué, le visage fatigué, les yeux larmoyants. « À un moment, je me suis demandé si ce serait mal pris que nous annulions l’émission. Mais nous avions promis. Je demande votre pardon et celui de votre audience ». Le dirigeant turc a ensuite répondu à quelques questions supplémentaires avant que l’émission ne s’achève.
Qu’a fait Erdogan depuis ?
Depuis, le président a annulé ses engagements et déplacements publics pendant trois jours, disant vouloir se « reposer à la maison », sur conseil de ses médecins. En revanche, Erdogan est réapparu en direct à la télévision ce jeudi, par visioconférence, depuis le palais présidentiel, pour l’inauguration de la première centrale nucléaire de Turquie. Il prévoit de faire de même ce vendredi, pour l’inauguration d’un pont dans le sud du pays.
À ce stade, la présidence turque n’a pas précisé quand et si le président allait reprendre sa campagne sur le terrain.
Quelles sont les spéculations sur sa santé ?
Dès l’incident de mardi à la télévision turque, les rumeurs ont bruissé sur les réseaux sociaux, insinuant que le chef de l’État souffrait d’un mal plus grave qu’une grippe intestinale, comme des problèmes cardiaques. « Nous rejetons catégoriquement de telles affirmations infondées concernant la santé du président Erdogan », avait alors tweeté Fahrettin Altun, le directeur de la communication de la présidence turque.
La santé du dirigeant turc avait déjà alimenté les spéculations après une opération du gros intestin fin 2011, suivie d’une nouvelle intervention chirurgicale l’année suivante. Alors Premier ministre, Erdogan avait démenti publiquement souffrir d’un cancer du côlon, expliquant que les opérations visaient à lui enlever des polypes, des tumeurs bénignes dans la zone du côlon.
Un incident au plus mauvais moment
Cet incident tombe mal pour Erdogan, qui est en pleine campagne pour l’élection présidentielle prévue le 14 mai prochain. Au pouvoir depuis 2003, d’abord comme Premier ministre puis comme président, il fait face à une opposition avançant en front uni.
Son principal opposant, Kemal Kiliçdaroglu, à la tête d’une alliance réunissant six partis de l’opposition, a enchaîné deux meetings jeudi. Donné en bonne posture par la plupart des enquêtes d’opinion, Kiliçdaroglu a reçu le soutien tacite du parti prokurde HDP, considéré comme le faiseur de rois du scrutin présidentiel.
Pour déjouer les sondages, le chef de l’État comptait aligner deux à trois meetings quotidiens dans la dernière ligne droite avant les élections, après avoir partagé pendant le mois du ramadan le repas de rupture du jeûne dans une localité différente chaque soir.
Une tactique bien éprouvée par le chef de l’État, selon Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de la Turquie. « Durant les deux dernières campagnes électorales, présidentielle et législative, Erdogan a fait preuve d’une vitalité exceptionnelle pour un homme de son âge. En général, il mène ses campagnes politiques tambour battant, il est capable de tenir deux-trois meetings par jour, c’est assez dynamique. »
Avec cet incident, l’image du président-candidat dynamique risque cependant de s’effriter, poursuit Didier Billion. « Erdogan s’est construit sur un personnage viril, capable d’affronter toutes les situations, se présentant comme le seul capable en Turquie de défendre les intérêts du pays agressé de toutes parts. Il y a toute cette mythologie de l’homme providentiel », développe le spécialiste. De quoi faire basculer le scrutin ? « Si son incapacité à mener campagne se confirmait dans les jours ou les deux semaines qui nous restent, ça modifierait la donne politique », répond Didier Billion. « On n’en est évidemment pas là. »