« Le ministère turc de la Culture exige le remboursement des aides versées pour la réalisation de “Burning Days”, un film longuement applaudi à Cannes et récompensé en Turquie. La critique du pouvoir et l’inclusion d’un personnage homosexuel seraient à l’origine de cette “punition”, explique la presse locale » rapporte Courrier International du 12 décembre 2022.
“Burning Days”, le film du réalisateur turc Emin Alper qui avait été longuement applaudi cet été lors de sa présentation au festival de Cannes, est sorti le 9 décembre dans les cinémas turcs. Ce thriller politique, qui n’arrivera que le 15 mars 2023 sur les écrans français, met en scène un jeune procureur envoyé dans une petite ville d’Anatolie centrale frappée par la sécheresse et rongée par la corruption et les abus de pouvoir des autorités et des notables locaux.
Dès la présentation de Burning Days au festival de Cannes, l’équipe du film s’était fait photographier avec des pancartes demandant la libération de la productrice turque Cigdem Mater – qui compte parmi les producteurs du film et a été condamnée en avril à dix-huit ans de prison –, ainsi que de sept autres personnes, accusées comme elle d’avoir “organisé et financé” ladite révolte anti-Erdogan du parc de Gezi en 2013.
En octobre, lors du festival du film d’Antalya, principal festival du pays, où le film a raflé 9 récompenses, le réalisateur avait livré un discours incendiaire contre le pouvoir islamo-nationaliste et en soutien à la prestigieuse université du Bosphore, dont il est diplômé et qui manifeste depuis deux ans son opposition aux tentatives de reprise en main du pouvoir qui a parachuté à sa tête des proches du parti au pouvoir l’AKP et du MHP (le parti d’extrême droiteallié d’Erdogan).
“Quelle hypocrisie !” dénonçait alors le quotidien progouvernemental Sabah :“Ce réalisateur se permet un discours vomissant sa haine contre le système et l’État alors même qu’il a pu bénéficier de subventions publiques pour son film”,s’indignait un éditorialiste.
Ces critiques des médias progouvernement ont fini par porter leurs fruits puisque le 8 décembre le réalisateur a annoncé que le ministère du Tourisme et de la Culture lui demandait le remboursement, avec intérêts, du montant des aides accordées au film. Les autorités lui reprochent notamment d’avoir effectué des changements dans le scénario préalablement accepté par les autorités, ce que le réalisateur dément, rapporte le média en ligne T24.
Présence d’un personnage homosexuel
Outre l’aspect politique du film, c’est surtout la présence d’un personnage homosexuel qui déchaîne l’ire de la presse pro-AKP. “Il a menti sur son scénario, escroqué le ministère pour faire de la propagande pour les pervers LGBT et il crie à la censure”, tempête le quotidien Türkiye, dont le propriétaire est un proche de l’AKP.
Le journal s’est lancé ces deux dernières années dans une croisade contre le“lobby LGBT” qualifié “d’organisation terroriste” par le ministre de l’Intérieur.
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“Ce mécanisme de contrôle des scénarios et de censure a été mis en place en 2019, explique le réalisateur dans une interview au quotidien d’opposition de gauche Birgün, mais nous avons livré notre scénario vingt mois avant la sortie à Cannes et ils n’ont rien trouvé à redire de prime abord.”
Le réalisateur s’étonne de cette décision venue frapper un film qui a été la production turque la plus récompensée dans les festivals turcs et internationaux cette année. “C’est une punition à notre endroit qui ne repose sur rien et qui nous montre comment est géré l’argent public, et ça ne concerne pas que le secteur de la culture”, déplore Emin Alper, qui espère que son film pourra être financé par son succès dans les salles de cinéma.
Courrier International, 12 décembre 2022