Le président russe pourrait se rendre en Turquie le 27 avril pour inaugurer une centrale nucléaire. Et soutenir Recep Tayyip Erdogan avant les élections. Par Guillaume Perrier dans Le Point du 12 avril 2023.
Sa visite sera étroitement scrutée. Non seulement parce que Vladimir Poutine n’est plus sorti de Russie depuis de longs mois – à l’exception de son escapade en Crimée occupée en avril –, mais surtout parce qu’il se trouve visé, depuis le 17 mars, par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour sa responsabilité dans des crimes de guerre commis par ses troupes en Ukraine.
Mais, avec Recep Tayyip Erdogan, aucun risque que le mandat d’arrêt soit mis à exécution. Le président turc a fait savoir qu’il n’était pas concerné par cette requête. Et un voyage du président russe de l’autre côté de la mer Noire confirmerait l’entente très cordiale avec le président turc, qui sera en pleine campagne électorale à deux semaines de scrutins présidentiel et législatifs décisifs pour l’avenir de la Turquie.
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C’est d’ailleurs Erdogan lui-même qui a dévoilé l’hypothèse d’une telle visite. Selon lui, le président russe serait attendu à Akkuyu, dans le sud de la Turquie, alors que la première centrale nucléaire turque va y être mise en service par le groupe russe Rosatom. « La Turquie chargera le premier combustible nucléaire dans la première unité de la centrale d’Akkuyu le 27 avril », a déclaré le président turc le 30 mars. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a mollement démenti la possibilité d’une présence quelques jours plus tard.
Positionnement stratégique pour la Russie
Akkuyu est le projet symbole de la lune de miel turco-russe entamée en 2016. En avril 2018, Poutine et Erdogan avaient déjà lancé, ensemble, le chantier de cette centrale, symbole d’une coopération grandissante entre les deux régimes autoritaires et salué par Erdogan comme un « moment historique pour [leur] développement et [leur] coopération historique avec la Russie ».
En 2021, c’est par visioconférence que Poutine avait suivi la cérémonie qui marquait le début de la construction. Et, les 6 et 7 avril, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, se trouvait à Ankara avec son homologue, Mevlüt Cavusoglu, pour ce qui a été perçu comme une réunion préparatoire. Avec Erdogan, Poutine a dessiné un partenariat stratégique, une proximité qu’il compte bien renforcer après les élections. L’opposition turque craint d’ailleurs que la Russie ne mette ses réseaux de désinformation au service de la réélection du « reis », le 14 mai.
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La centrale d’Akkuyu, qui comptera quatre réacteurs et dont le coût total est estimé à 20 milliards de dollars, devrait produire 35 milliards de kilowattheures (kWh) d’électricité par an et couvrir environ 10 % des besoins nationaux de la Turquie. Elle sera la première au monde à être mise en service dans le cadre d’un contrat construction-propriété-opération. L’opérateur russe Rosatom va ainsi en assurer la conception, la construction, la maintenance, l’exploitation et le démantèlement… sur un morceau de territoire placé sous l’autorité de la Russie.
Selon des sources militaires, Moscou pourrait même être tenté d’y installer des systèmes de défense et d’écoutes. La Russie bénéficierait ainsi d’une fenêtre sur la Méditerranée, à quelques encablures des côtes syriennes et de sa base navale de Tartous… sur le territoire d’un pays membre de l’Otan !
Au bord d’une faille sismique
Autre préoccupation majeure, le terrain qui accueille l’installation nucléaire est situé au bord de la mer Méditerranée, non loin d’une zone à fort risque sismique. Le site d’Akkuyu, dont la licence d’autorisation a été délivrée il y a plus de 40 ans, se trouve à 25 kilomètres d’une faille. Dès 1991, une étude scientifique turque déconseillait la construction d’une centrale dans cette zone, qualifiée de dangereuse.
Non loin de là, à Adana, 140 personnes ont trouvé la mort lors d’un séisme en 1998. Et, plus récemment, le 6 février, un double séisme dans l’est de la Turquie a fait plus de 50 000 morts et des dizaines de milliers de blessés. L’épicentre se trouvait à 200 km d’Akkuyu.