Le vent souffle sans répit dans le film de Semih Kaplanoglu, ployant branches, bruissant feuillages, malmenant les clôtures faits d’assemblages irréguliers de bois secs. La bande son est saturée de cette menace de tempête qui pourrait tout balayer, qui ne vient jamais mais qui tient le spectateur en haleine. La tempête est ailleurs, dans la tête du personnage principal, dans ses pommeraies qu’il arrose sans réserve de pesticides vendus par l’Allemagne et que les nouvelles dispositions de l’UE rendent impropres à l’exportation.
Une fois la magnificence d’une nature luxuriante établie, le récit avance par séquences qui restituent la complexité des personnages, balayant les clichés et les attendus par des retournements de situations et de rôles. L’épouse du héros déchire parfois son penchant calculateur et mesquin pour se laisser submerger de honte comme lorsqu’elle chipote le prix d’une nappe crochetée, commandée à une vieille dame nécessiteuse. Elle autorisera à l’empathie à prendre le dessus.
Mari et femme apparaissent anxieux de salut spirituel, ils se préparent à faire le hadj. On découvre leurs scrupules, mais aussi les petites mesquineries de ceux auprès de qui, avant de partir pour la Mecque, ils quémandent le pardon pour leurs méfaits infligés. Gestes de générosité et bassesses s’entremêlent, soustrayant au film toute tentation d’idéalisation, donnant au récit force de vérité. Ceci sans altérer la poésie qui s’en dégage et où l’onirique le dispute au réalisme.
Le film est servi par d’excellents acteurs qui rendent intense et compacte la présence à l’écran de personnages tout en émotions rentrées, tout en retenue…au bord du déferlement en…tempête. La silhouette du héros, colosse fatigué, se découpe sur un paysage d’où a disparu le majestueux chêne solitaire, socle de son histoire. L’image imprègne durablement la rétine du spectateur. On avait vu dans une scène du prologue le chêne déployé à l’ombre duquel une mère se repose avec un de ses garçons s’acquittant de corvée et portant l’eau alors que l’autre dort dans un grand berceau. Scène quasi biblique, elle présage pour les deux frères un destin qui évoque celui de Cain et Abel. C’est le nœud de l’intrigue. L’épilogue en dénoue les fils pour dire que le passé est perdu à jamais et que toute offense n’est pas pardonnée.
A la question qu’on lui pose au sujet de la source de son inspiration Semih Kaplanoglu répond « Je veux faire ressentir la douleur des êtres humains, les remords et le désespoir qui se cachent en profondeur alors que j’essaie de dépeindre leurs divergences et leurs contradictions de surface. Je pense que la source de cette souffrance a quelque chose à voir avec ce qui nous relie les uns autres, ce lien invisible et authentique. Hasan s’intéresse à ce lien brisé en apparence mais qui en réalité relie éternellement les deux frères l’un à l’autre«
On peut espérer que ce très beau film de maturité de Semih Kaplanoglu demeurera sur les écrans français jusqu’en septembre pour rencontrer le public de la rentrée.
Nora Seni
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