L’attaque de mercredi en Turquie n’a pas encore été revendiqué, mais il survient à un moment où des espoirs de paix avec les combattants kurdes semblaient pourtant renaître
Les autorités ont dénoncé une attaque terroriste : l’attentat de mercredi visant le siège des industries de la défense à Ankara a fait cinq morts et 22 blessés, selon un dernier bilan. Ankara accuse les combattants kurdes et a annoncé avoir frappé dans la nuit 32 cibles du PKK et de ses alliés dans le nord de l’Irak et en Syrie.
La séquence est troublante, souligne notre correspondante à Ankara, Anne Andlaeur car cette attaque contre un fleuron de l’industrie de défense turque survient au moment où les autorités d’Ankara semblent préparer l’opinion publique à de nouveaux pourparlers de paix avec le PKK. Et, plus précisément, avec le chef emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan…
La veille de l’attentat – mardi donc – le principal allié politique du président Erdogan, le chef du parti d’extrême-droite ultranationaliste MHP, avait surpris tout le monde en laissant entendre qu’Abdullah Öcalan pourrait même être libéré s’il venait au Parlement pour annoncer la dissolution de son organisation. Et hier, à peu près au moment où l’attentat se déroulait, Abdullah Öcalan recevait en prison son neveu, qui est aussi un élu du parti prokurde légal, le DEM… alors que les autorités ne lui avaient permis aucune visite depuis plusieurs années.
Le chef kurde historique du PKK est détenu à l’isolement depuis 1999 sur l’île-prison d’Imrali en mer de Marmara, au sud d’Istanbul. « Notre dernière rencontre en face-à-face avec Abdullah Öcalan avait eu lieu le 3 mars 2020. En tant que famille, nous avons rencontré M. Öcalan des années plus tard, le 23 octobre 2024 », a annoncé sur X Ömer Öcalan, député du principal parti pro-kurde au Parlement, le Dem (ex-HDP), confirmant les informations de la presse turque.
Après l’attentat, la plupart des réactions sont donc allées dans le sens d’une tentative de sabotage de ces efforts de paix. Le parti pro-kurde au Parlement, le DEM, a estimé que le « timing (était) significatif » et a parlé de « provocation ». L’ancien dirigeant emprisonné du parti, Selahattin Demirtas, a dénoncé ceux qui « essayent de briser dans le sang la quête d’une solution politique ».
Quel intérêt le PKK aurait-il à saboter la reprise de négociations avec l’État turc ?
S’il y a une chose que les précédentes négociations ont montré, c’est qu’Abdullah Öcalan, depuis sa prison, n’a pas totalement la main sur le commandement militaire du PKK qui, lui, est basé en Irak du Nord. Les derniers efforts de paix avaient eu lieu entre 2012 et 2015, et Abdullah Öcalan avait déjà au printemps 2013, appelé le PKK à faire taire les armes. Finalement, les négociations ont échoué et la guerre a repris. En partie à cause du contexte politique en Turquie, mais aussi parce que la donne régionale avait changé : la lutte contre le groupe État islamique avait poussé les Éats-Unis à s’allier et à armer la branche syrienne du PKK, le PYD, qui contrôle de larges zones dans le nord de la Syrie. Donc il faut avoir à l’esprit qu’une partie du commandement du PKK n’a pas forcément envie d’abandonner les armes et de se rendre à la Turquie – puisque ce sont les préconditions qu’Ankara a toujours requises.
Qui d’autre pourrait avoir intérêt à mettre en péril les efforts de paix ?
Du côté turc, non plus, tout le monde ne voit pas d’un bon œil l’éventualité d’une reprise des négociations avec le PKK. Certaines forces au sein de l’appareil d’État, dans les milieux nationalistes, estiment qu’on ne négocie pas avec les terroristes, qu’il n’y a pas d’autre issue qu’une victoire militaire. D’ailleurs on a bien vu comment les déclarations du chef du parti d’extrême-droite MHP ont été critiquées par d’autres partis qui se revendiquent aussi de ce nationalisme turc. Ceci dit, ce n’est bien sûr pas la thèse avancée aujourd’hui par la plupart des médias turcs, notamment des médias proches du pouvoir, qui voient derrière l’attaque d’hier la main du PKK manipulé par des soutiens étrangers, comme les Etats-Unis, Israël ou l’Iran.
Pourquoi les autorités turques voudraient-elles relancer des négociations avec le PKK après l’échec de toutes les tentatives précédentes ?
Officiellement, il s’agit d’apaiser le climat intérieur au moment où la Turquie est encerclée par les conflits – l’Ukraine au nord, la Syrie ; Gaza et le Liban au sud. Mais la plupart des observateurs avancent des explications plus pragmatiques, et pensent qu’il s’agit en fait d’un calcul politique. Car Recep Tayyip Erdogan – après 22 ans au pouvoir – veut modifier la Constitution pour pouvoir se présenter à un nouveau mandat en 2028. Et pour ce faire, il lui faut le soutien d’une partie de l’opposition. L’idée, selon cette lecture, serait donc d’échanger le soutien du parti pro-kurde au parlement, le DEM, contre une relance du processus de paix…
Un processus qui, s’il prend forme, sera de toute façon long et semé d’embûches, comme l’attaque d’hier l’a rappelé…