Quatre ressortissants tadjiks ou d’origine tadjike figurent parmi les auteurs présumés de l’attentat au Crocus City Hall, près de Moscou. Ils forment avec les Ouzbeks, Turkmènes et Kirghiz une bonne partie des membres de l’Etat islamique au Khorassan (EI-K), qui a revendiqué l’attaque.
L’Etat islamique (EI) a réactivé ses réseaux en Asie centrale, c’est ce qui ressort des suites de l’attaque meurtrière – au moins 139 morts selon le bilan officiel – perpétrée, vendredi 22 mars, dans la salle de concert du Crocus City Hall, à Moscou, et revendiquée par la filiale de l’EI en Afghanistan, appelée Etat islamique au Khorassan (EI-K).
Parmi les auteurs présumés de la tuerie, dont le nombre précis n’a toujours pas été établi, figurent notamment des ressortissants tadjiks ou d’origine tadjike. Shamsidin Faridouni, Dalerdjon Mirzoev, Mourodali Ratchabalizoda, Muhammadsobir Fayzov, qui vivaient et travaillaient en Russie, ont été arrêtés par les forces de sécurité russes à plus de 300 kilomètres de Moscou, plusieurs heures après l’attentat.
Selon Radio Svoboda, Radio Liberty en langue russe, Muhammadsobir Fayzov, 19 ans, était coiffeur dans la région d’Ivanovo, et Shamsidin Faridouni, 25 ans, travaillait comme ouvrier dans une entreprise de parquets et était domicilié à Krasnogorsk, où se situe le Crocus City Hall. Tous les quatre ont été placés, dimanche, en détention provisoire, à l’issue d’une audience au tribunal Basmanny de Moscou, où ils sont apparus physiquement abîmés, visages tuméfiés et tachés de sang.
Propagande en plusieurs langues
A deux reprises, l’EI-K a revendiqué l’attaque. Aamaq, le canal servant habituellement à l’EI pour ses revendications, a d’ailleurs diffusé, par sa chaîne Telegram, une vidéo prise par les assaillants, sur laquelle on les voit à l’intérieur de la salle de concert en train d’ouvrir le feu sur les spectateurs. Malgré cela, Vladimir Poutine continue, sans preuve aucune, d’imputer l’attentat à l’Ukraine, ce que Kiev dément catégoriquement.
Lundi 25 mars, un nouveau signal de revendication est venu de l’EI-K, une affiche de propagande rédigée en plusieurs langues (pachtou, persan, ouzbek, anglais, russe) a été diffusée sur les réseaux sociaux qui lui sont affiliés. L’affiche promet de nouvelles attaques contre « tous les sauvages russes », « y compris Poutine » en guise de représailles aux tortures infligées par les forces de sécurité russes aux quatre auteurs présumés de l’attentat, reconnus comme des membres de l’organisation.
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L’EI-K soigne particulièrement sa propagande à destination des ressortissants d’Asie centrale (Tadjiks, Ouzbeks, Turkmènes et Kirghiz), qui forment une bonne partie de son contingent. Ses messages sont diffusés en plusieurs langues, notamment en persan, la langue parlée par les Tadjiks, ou encore en ouzbek et en russe. Ils sont propagés par la fondation Al-Azaim, qui produit des contenus médiatiques, notamment sur sa chaîne Telegram.
Hostile au pouvoir des talibans
Autre constat, sa stratégie de recrutement vise désormais « des individus désillusionnés par les talibans et des combattants étrangers ». Au cours des douze derniers mois, la filiale de l’EI en Afghanistan a notamment réussi à recruter des militants du Jamaat Ansarullah, un groupe islamiste extrémiste tadjik, qui projette de renverser le gouvernement de Douchanbé.
Le Tadjikistan, l’Etat le plus pauvre et le moins sécurisé de la région, théâtre d’une guerre civile dans les années 1990, apparaît comme le ventre mou de l’Asie centrale post-soviétique, le plus perméable aux infiltrations du groupe, sa frontière avec l’Afghanistan, pourtant fermée, n’étant pas infranchissable. Par ailleurs, les Tadjiks de la diaspora, soit d’un à deux millions d’hommes partis travailler à l’étranger (sur une population totale de 10 millions), principalement en Russie, dans l’espoir de percevoir un salaire bien plus élevé qu’au pays, peuvent aussi être des proies faciles pour les recruteurs.
Le Tadjikistan est le plus hostile des cinq Etats d’Asie centrale au pouvoir des talibans. Les autorités de Douchanbé leur reprochent de ne pas sécuriser la frontière commune, voire de se rendre complices des militants islamistes, qui y commettent régulièrement des attaques et ce, depuis août 2021.
La crainte d’un réveil de l’EI dans la région centrasiatique n’est pas nouvelle. Déjà, le 20 janvier 2020, l’équipe d’enquêteurs onusiens, chargée de suivre l’évolution d’Al-Qaida et de l’EI, avait mis en garde à propos de la situation en Asie centrale « influencée par les événements survenant à Idlib, en Syrie, et en Afghanistan ».
Risques de contagion
Le 21 mai 2019, Alexandre Bortnikov, le chef du service de renseignement intérieur russe (FSB), alertait, à son tour, justement lors d’un déplacement au Tadjikistan, sur la présence de près de 5 000 combattants affiliés à l’EI dans cette région. Selon les médias russes, qui couvraient sa visite, il tenait à prévenir des risques de contagion, notamment vers les provinces du nord de l’Afghanistan toutes proches, et appelait à un renforcement du contrôle de la frontière afghano-tadjike, longue de plus d’un millier de kilomètres et réputée pour sa porosité.
Sa prise de parole intervenait deux jours après la mutinerie et la tentative d’évasion collective, déclenchée par des membres de l’EI dans une prison près de Douchanbé. Nombre d’entre eux étaient revenus d’Irak et de Syrie. Les autorités tadjikes estimaient que près d’un millier étaient partis se battre pour l’EI. Trente-deux personnes ont été tuées lors de cette émeute, dont trois gardiens et cinq autres détenus. Selon le ministère de la justice tadjik, les assaillants, dont 24 sont morts et 35 ont été arrêtés, étaient tous affiliés à l’organisation.
Parmi les meneurs de cette mutinerie, les forces de sécurité ont dit avoir identifié Bekhrouz Goulmourod, le fils de l’ancien chef des forces spéciales tadjikes devenu un cadre dirigeant de l’EI en Syrie, où il a trouvé la mort fin 2017. Bekhrouz avait lui-même été condamné, en juillet 2017, à dix ans de prison pour avoir tenté de rejoindre les rangs de l’EI en Syrie.