Le vol privé vers la station spatiale, orchestré par les sociétés Axiom Space et Space X, qui a décollé dans la nuit de jeudi à vendredi 19 janvier transporte pour la première fois un citoyen turc dans l’espace et fait l’objet d’interprétations très politiques. La presse d’opposition accuse le gouvernement de récupération opportuniste.
Le 19 janvier 2024, Courrier International
Jeudi 18 janvier, quatre astronautes d’un genre particulier ont décollé depuis Cap Canaveral en Floride vers la Station spatiale internationale où ils doivent rester pendant deux semaines aux côtés des astronautes déjà présents. Mais il ne s’agit pas d’un vol habituel organisé par une ou plusieurs agences spatiales nationales, la mission Ax-3, troisième du genre, est un vol privé, organisé par la société américaine Axiom Space. L’équipage est composé d’un Italien, un Suédois, un hispano-américain et donc un Turc.
La présence d’Alper Gezeravci, pilote de chasse de l’armée turque à bord du vol a été largement soulignée depuis plusieurs jours par le président islamo-nationaliste Recep Tayyip Erdogan. Les deux hommes ont ainsi eu un échange téléphonique lors d’une réunion du cabinet présidentiel le 17 janvier, retransmis sur de nombreuses chaînes de télévision.
“Nous sommes témoin d’un moment historique” se félicitait le leader turc le 19 janvier, suite au départ de la fusée, reporté d’un jour pour des contrôles de dernière minute, rapporte le quotidien Milliyet.“Nous commençons le siècle de la Turquie, la deuxième phase de la République [fondée il y a cent ans en octobre 1923] en envoyant notre première mission habitée dans l’espace” s’est ainsi réjoui le dirigeant, qui entend rester dans l’histoire comme le fondateur de cette “nouvelle Turquie”.
La nouvelle a été accueillie par un tonnerre d’applaudissements par la presse pro-gouvernementale. “Depuis les années 1960 on s’extasie des prouesses spatiales occidentales, on nous explique que nous ne valons rien, que les infidèles en sont capables et pas nous […] mais voilà, tout a changé, les drones que produit notre industrie d’armement s’arrachent sur le marché mondial et maintenant nous envoyons un astronaute, le premier d’une longue série, dans l’espace” considère un éditorialiste du quotidien Yeni Safak.
Proximité affichée entre Erdogan et Musk
La presse d’opposition, elle, souligne, à l’image du quotidien de gauche Evrensel, que “l’astronaute” en question est bien davantage un “voyageur de l’espace” qu’un véritable astronaute, tout le monde pouvant avoir sa place dans la fusée à condition de payer son voyage. Le vol originel Axiom Space-1, lancé par la même entreprise en 2022 avait ainsi convoyé de riches hommes d’affaires désireux de faire un tour dans les étoiles.
“On nous présente cela comme une gloire nationale, mais ni la fusée, ni le centre d’entraînement ne sont à nous, nous avons simplement payé 55 millions de dollars pour faire partie du projet” explique le journal.
Le vol a été commandé par la société Axiom Space mais a pu être réalisé grâce aux lanceurs et aux modules de Space X, souligne le quotidien. Le président Erdogan est en très bons termes avec l’excentrique Elon Musk, une des premières fortunes mondiales, propriétaire notamment de Space X et du réseau social X (ex-Twitter). Les deux hommes avaient médiatisé leur dernière rencontre en septembre à New York, où Elon Musk, accompagné de son jeune fils, était venu saluer et échanger avec le président turc.
Viser la Lune
Le regard se tourne désormais vers la lune, où le président turc promettait il y a quelques années qu’un premier vol non habité aurait lieu en 2023. “Merci à notre président d’avoir tourné nos têtes vers le ciel, la prochaine étape c’est la Lune” s’émeut un éditorialiste du quotidien Sabah. “Nous avançons vers un voyage non habité pour la Lune, nous allons continuer à augmenter la puissance de nos fusées et créer une base de lancement” a ainsi déclaré le ministre de l’industrie et des nouvelles technologies, cité par le journal.
Mais les moyens alloués restent modestes au regard de l’ambition. Le budget de l’agence spatiale turque, crée en 2018, a été fixé pour l’année 2024 à 1,7 milliard de livres turques (56 millions de dollars). Soit autant que le montant versé par Ankara à Axiom Space pour envoyer Alper Gezeravci dans l’espace.