Le président ukrainien a rencontré vendredi son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, qui se pose toujours en médiateur entre Kiev et Moscou.
Le Monde, le 11 mars 2024 par Nicolas Bourcier
Aussi rapide qu’inattendu, le déplacement à Istanbul, vendredi 8 mars, du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’est déroulé au pas de charge, entre la visite des chantiers navals de Tuzla, où sont construites des corvettes destinées à la marine ukrainienne, des rencontres avec des chefs d’entreprise du secteur militaro-industriel et, en fin de journée, un entretien avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan.
La rencontre entre les deux présidents, au palais de Dolmabahçe, sur les bords du Bosphore, intervient au moment où l’Ukraine manque cruellement de munitions et de défenses antiaériennes. Les alliés de Kiev cherchent à acquérir auprès de pays non européens quelque 800 000 munitions et obus pour réapprovisionner l’armée ukrainienne, qui perd du terrain, notamment au Donbass.
Le temps presse, car la crainte est grande de voir les troupes russes parvenir à percer les défenses ukrainiennesd’ici à l’été. L’aide « goutte à goutte » à l’Ukraine ne fonctionne plus, a déclaré vendredi, à Vilnius, le ministre ukrainien des affaires étrangères, Dmytro Kuleba. « Si les choses continuent comme elles se produisent actuellement, cela ne va pas bien se terminer pour nous tous », a-t-il averti, réclamant « un approvisionnement sans restriction et en temps opportun de tous types d’armes et de munitions pour garantir que l’Ukraine batte la Russie et que la guerre ne déborde pas en Europe ».
Partenariat militaire
Venu à Istanbul avec son ministre de la défense, Rustem Umerov, M. Zelensky compte sur le soutien de la Turquie, à laquelle son pays est lié par un partenariat militaire. « Nous travaillons actuellement à la production commune d’armes et de munitions pour renforcer notre région », a-t-il expliqué lors de la conférence de presse commune, reconnaissant la présence en Ukraine de « représentants des entreprises turques ».
En janvier, des cadres de l’entreprise privée Baykar, qui fabrique notamment le drone Bayraktar TB2, très utilisé par les Ukrainiens contre les Russes au début du conflit, ont inauguré une usine de fabrication de ces aéronefs dans les environs de Kiev. Moscou s’est empressé de déclarer ce site comme une « cible légitime » pour l’aviation russe, selon les propos de Dmitri Belik, député du parti au pouvoir à la Douma, rapportés le 7 février sur le média en ligne russe Lenta.
Pour sa part, la Turquie est prête à fournir à l’Ukraine des obus de 155 mm dans le cadre de la plate-forme d’achat mise au point par les alliés européens pour acheter les munitions qui font défaut aux forces ukrainiennes. Depuis le début du conflit, Kiev a reçu de son partenaire turc des drones de combat et des véhicules de transport de troupes. En décembre 2023, un nouveau drone, Anka-3, produit conjointement par la société publique turque Turkish Aerospace Industries et l’entreprise ukrainienne Ivtchenko-Progress, a effectué son premier vol.
Mais la coopération industrielle a ses limites. Ainsi, les deux corvettes de classe Ada – baptisées Hetman Ivan Mazepa et Hetman Ivan Vyhovskyi –,construites par les chantiers navals turcs RMK pour la marine ukrainienne, selon un accord signé avant la guerre, en 2021, ne devraient pas quitter les eaux turques, pour éviter d’irriter outre mesure la Russie, l’autre partenaire important d’Ankara. Le président russe, Vladimir Poutine, est d’ailleurs attendu en Turquie, à une date qui n’a pas encore été fixée.
Soutien à l’intégrité territoriale de l’Ukraine
Lors de la visite éclair de M. Zelensky à Istanbul, il a aussi été question de paix. M. Erdogan s’est dit prêt à fournir une nouvelle plate-forme de négociations à Kiev et à Moscou, comme il a pu le faire à deux reprises en 2022. Sa proposition, formulée au Forum diplomatique d’Antalya, une rencontre informelle entre diplomates de plusieurs pays qui s’est tenue du 1er au 3 mars, a été rejetée par Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, qui était présent.
Surtout, le numéro un turc a réitéré vendredi son soutien à l’intégrité territoriale de l’Ukraine ainsi que son adhésion au plan de paix en dix points élaboré par Volodymyr Zelensky. C’est précisément le message que ce dernier voulait entendre. En quête de soutiens accrus pour son plan, qui prévoit le retrait des forces russes de tous les territoires occupés en Ukraine, ce que Moscou refuse de faire, Volodymyr Zelensky ambitionne d’organiser en 2024 une vaste conférence pour la paix.
Deux plans sont actuellement en concurrence : celui du président ukrainien, soutenu par les Occidentaux, et celui que Li Hui, le représentant spécial du gouvernement chinois pour les affaires eurasiennes, tente de négocier pour le compte de la Russie. Le diplomate chinois s’est rendu à Kiev jeudi pour s’entretenir avec Andriy Yermak, le chef de cabinet du président ukrainien. Quelques jours plus tôt, le 2 mars, il se trouvait à Moscou, déclarant avec Mikhaïl Galouzine, le vice-ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie, que les « ultimatums » posés à Moscou par Kiev et ses alliés occidentaux « nuisaient » aux perspectives de règlement du conflit.