Dans un contexte de nombreuses critiques du pouvoir concernant sa gestion des conséquences suite aux séismes qui ont frappé le sud de la Turquie le 6 février, le site Ekşi Sözlük demeure inaccessible depuis plusieurs jours ; par ailleurs, trois médias turcs ont reçu des amendes et ont été sanctionnés par des suspensions de programmes. Rapporte Le Petit Journal du 26 février 2023.
Alors que le gouvernement turc a vivement été critiqué pour son manque de réactivité suite aux tremblements de terre du 6 février, le 21 février au soir, le très populaire site Ekşi Sözlük (« dictionnaire amer ») a été bloqué par la BTK (Autorité des technologies de l’information et des communications). Et le 22 février, les 3 chaînes de télévision (réputées d’opposition) Halk TV, Tele 1 et Fox TV ont été épinglées par le RTÜK (Haut conseil turc de l’audiovisuel).
Le très populaire site Ekşi Sözlük bloqué sans motif
Ekşi Sözlük, « dictionnaire » collaboratif (basé sur les contributions d’utilisateurs à propos de divers sujets), représente probablement une des plateformes sociales les plus populaires en Turquie. Elle a largement été utilisée pour des appels à l’aide dans les régions touchées par les séismes.
Dans une déclaration sur son compte Twitter le 21 février au soir, Ekşi Sözlük a déclaré : « […] Nous n’avons pas connaissance des détails quant au blocage, nous essayons d’obtenir des informations de la part des autorités« .
La direction du site d’Ekşi Sözlük a rencontré la BTK le 23 février. Selon les explications données par l’Autorité, le blocage semblerait être la conséquence de « la désinformation donnée au public par les utilisateurs d’Ekşi Sözlük« .
Le journaliste Ismail Saymaz a pour sa part écrit le 24 février que la décision de bloquer l’accès au site Ekşi Sözlük émanait de la présidence turque, car basée sur une lettre de la Direction générale des affaires administratives, qui agit pour le compte de la présidence. Başak Purut, le dirigeant d’Ekşi Sözlük, considère, pour sa part, cette décision comme une « censure« , dans la mesure où elle est prise pour l’ensemble du site : « La décision viole le principe de liberté d’expression, reconnu par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme. »
Car, comme l’a précisé Başak Purut dans une interview avec le journaliste Fatih Portakal le 22 février : « Dans le passé, il y a eu des demandes de suppression de contenus spécifiques, auxquelles nous nous sommes toujours conformés. »
Le site, qui était toujours bloqué le 26 février au soir, est accessible avec un VPN.
Des amendes et suspensions d’antenne pour les chaînes Halk TV, Tele 1 et Fox TV
Le Haut conseil turc de l’audiovisuel (RTÜK), a sanctionné, le 22 février, trois chaînes de télévision qui avaient critiqué le gouvernement pour sa gestion des séismes. Halk TV, Tele 1 et Fox TV ont été condamnées à des amendes et à des suspensions de programmes pour « les informations et commentaires qu’elles ont diffusés à propos du séisme« .
Halk TV et Télé 1 ont été condamnées à une amende correspondant à 5% de leur chiffre d’affaires du mois de janvier, ainsi qu’à la suspension pendant cinq jours d’une de leurs émissions quotidiennes. Une amende correspondant à 3% de leur chiffre d’affaires de janvier a par ailleurs été infligée à Halk TV et à Fox TV.
« Agissant comme une commission de censure, le RTÜK ne parviendra pas à cacher la vérité en sanctionnant les chaînes qui rapportent le désarroi de la population dans les zones touchées par le séisme. Le RTÜK commet un crime en ignorant le droit du peuple à être informé« , a déclaré le président de la Société des journalistes, Nazmi Bilgin, dans un communiqué.
Les contenus incriminés ? Entre autres, l’impréparation du pays aux tremblements de terre, que Merdan Yanardağ, le rédacteur en chef de Tele1, a reprochée aux gouvernements de droite. Il critique également les amnisties promulguées par le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, qui ont aggravé l’ampleur des destructions.
Sur Fox TV, Deniz Zeyrek déclare : « Si seulement des drones avaient été utilisés pour photographier les provinces frappées par le tremblement de terre« , Murat Yetkin, un autre intervenant lui répond : « Cela a été fait. Ça a été demandé à une entreprise israélienne« .
Le blocage des réseaux sociaux par les autorités est très courant en Turquie. En 2015, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait condamné la Turquie pour le blocage du site YouTube entre 2008 et 2010. Twitter fait l’objet de coupures régulières, notamment lors des événements de Gezi en 2013. Le réseau social avait également été limité suite à l’attentat du 13 novembre 2022 sur l’avenue Istiklal à Istanbul. Plus récemment, lors de la visite du président Erdogan sur les zones sinistrées par les séismes, le 8 février 2023, Twitter avait été interrompu pendant plusieurs heures, provoquant la colère des utilisateurs alors que certains tentaient d’aider à retrouver des survivants via le réseau social.
En octobre dernier, le Parlement turc a voté une loi sur la « désinformation » qui prévoit des peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prison pour la diffusion de fausses informations. Selon le classement 2022 de la liberté de la presse publié par Reporters sans Frontières (RSF), la Turquie se situe à la 149e place sur 180.