« Recep Tayyip Erdogan a accueilli favorablement la proposition de Vladimir Poutine de créer en Turquie un hub pour le gaz russe. Ankara cherche également à s’imposer comme intermédiaire entre les gisements du Proche-Orient et le marché européen » rapporte Timour Ozturk dans Les Echos du 19 octobre 2022.
Le président turc n’a pas hésité plus de 24 heures avant d’engager la Turquie dans un nouveau projet gazier avec la Russie. La semaine dernière, Moscou proposait à Ankara de devenir un « hub gazier » , par lequel pourraient transiter les exportations russes, après l’arrêt des gazoducs Nord Stream 1 et 2 qui relient la Russie à l’Allemagne en passant par la mer Baltique. Vendredi 14 octobre, au lendemain de sa rencontre avec son homologue russe au Kazakhstan, Recep Tayyip Erdogan assurait avoir ordonné au ministère turc de l’Energie de « mener un travail en commun » avec les institutions russes concernées sur le sujet.
Les grandes lignes d’un tel projet ne sont pour le moment pas connues. Mais il s’agirait de développer des infrastructures gazières en Thrace, dans la partie européenne de la Turquie, au nord-ouest d’Istanbul. C’est déjà dans cette région, à Kiyiköy, que débouche le gazoduc TurkStream, inauguré en 2020. Ce double pipeline immergé sous la mer Noire permet à la Russie d’exporter une trentaine de milliards de mètres cubes de gaz par an vers la Turquie, puis vers les Balkans.
Gazoduc sous la mer Noire
La Russie exporte aussi son gaz en Turquie depuis une vingtaine d’années via BlueStream, un autre gazoduc sous la mer Noire, d’une capacité annuelle de 16 milliards de mètres cubes. Toutefois, la construction de nouvelles infrastructures semble difficilement réalisable dans le contexte actuel, écrit le chercheur Ali Arif Akturk : « Les entreprises capables de construire ce genre de gazoduc ne se risqueront pas à s’engager dans un tel projet au vu des sanctions contre la Russie ». Cet expert entretient également de sérieux doutes sur le financement d’un hub gazier en Thrace.
La Turquie, qui a consommé 60 milliards de mètres cubes de gaz en 2021, est dépendante à environ 45 % de la Russie pour son approvisionnement. Selon Bloomberg, Ankara tente de négocier auprès de Gazprom un report de paiement portant sur une partie de ses importations, dans un contexte de crise économique et de dépréciation de la livre turque.
La Turquie ne s’intéresse pas qu’au gaz russe
La Turquie veut aussi produire elle-même. Elle a commencé à exploiter un premier gisement de gaz naturel en mer Noire , à 170 km du rivage. Un démarrage avec dix millions de mètres cubes est attendu d’ici au premier trimestre 2023, pour atteindre un pic de production en 2026. La Turquie prospecte également depuis plusieurs années en Méditerranée orientale, où les appétits sont aiguisés depuis la découverte de nombreux gisements au large des côtes égyptiennes, libanaises et israéliennes . Une volonté de s’imposer dans ces eaux qui fait entrer les Turcs en conflit avec la Grèce et Chypre sur la définition de leurs frontières maritimes.
Début octobre, la Turquie a signé avec les autorités libyennes un accord sur la prospection d’hydrocarbures dans une vaste zone au sud de la Crète. Ankara veut profiter de sa position géographique pour devenir un intermédiaire important dans le secteur des hydrocarbures dans la région. La Turquie souhaite par exemple construire un gazoduc sous-marin entre Israël et ses côtes. Un projet aujourd’hui bloqué par le manque d’intérêt israélien sur ce dossier.
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Les Echos, 19 octobre 2022, Timour Ozturk