« Des centres d’aide perquisitionnés, des camions d’aide arraisonnés et des opposants arrêtés, les autorités font feu de tout bois pour empêcher les partis d’opposition de profiter du séisme pour gagner en popularité à quelques mois d’élections cruciales » rapporte Courrier International du 23 février 2023.
Alors que le manque de préparation et les retards dans les opérations de secours sont très critiqués par les survivants du double séisme du 6 février, c’est désormais aussi la distribution de l’aide humanitaire qui focalise les critiques. En particulier les tentes, livrées en nombre insuffisant dans les zones sinistrées, alors qu’il s’agit d’un équipement crucial pour abriter les survivants.
Faute de tentes et de pouvoir se protéger du froid mordant, de nombreuses personnes ont été contraintes de regagner leurs domiciles endommagés, et y ont été blessées ou y ont perdu la vie lors du nouveau séisme, d’une magnitude de 6,4, survenu le 20 février et qui a touché la province de Hatay, s’indigne le maire de la ville de Samandag, rapporte le média en ligne Diken.
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Dans les régions touchées, où l’état d’urgence a été décrété, l’aide des partis d’opposition n’est pas la bienvenue pour les autorités. Le parti prokurde du HDP est particulièrement visé. Des centres de coordination et de distribution ont été perquisitionnés et placés sous contrôle des préfectures et de nombreux camions d’aide arraisonnés, leurs occupants parfois arrêtés par les forces de l’ordre.
Les gens manquent de tout
Le quotidien de gauche Evrensel cite ainsi l’exemple d’un poids lourd parti de la région kurde de Siirt pour rejoindre la zone de Gaziantep, transportant 85 poêles ainsi que du bois et du charbon pour les survivants, et qui a été saisi par les autorités.
“Les gens manquent de tout, le gouvernement veut faire croire qu’il pourvoit aux besoins des gens mais, sur le terrain, nous voyons que ce n’est pas le cas, les rescapés subsistent grâce à l’aide internationale ou à celle de leur famille”, critique la députée HDP Ayse Acar Basaran. Qui ajoute :
“L’État tente de maquiller son incompétence et de briser la solidarité de la société civile, au détriment des victimes.”
L’ONG humanitaire Ahbap, très populaire dans le pays, fondée et dirigée par le chanteur de rock Haluk Levent, proche de la gauche turque, est parvenue à lever plus de 50 millions d’euros, ce qui lui vaut d’être aussi dans le viseur du gouvernement.
Attaquée par des responsables du parti au pouvoir, l’AKP, et de son allié d’extrême droite du MHP, l’association a aussi été menacée à mots couverts par le ministre de l’Intérieur, qui s’en est pris à “ceux qui tentent de se substituer à l’État et que nous allons remettre à leur place”, souligne le quotidien d’opposition de droite Yeniçag.
Le gouvernement incite plutôt les Turcs à effectuer des dons auprès de l’Afad, l’organisme officiel chargé de gérer les catastrophes naturelles et vilipendé pour sa gestion de la crise ou auprès du Croissant rouge, dont les dirigeants sont proches du pouvoir d’Erdogan.
Six milliards d’euros levés par le gouvernement
Une campagne de dons à destination de ces deux organisations, relayée lors d’une soirée spéciale par la plupart des chaînes de télévision du pays, a réuni près de 6 milliards d’euros.
Mais l’opposition n’a pas manqué de souligner que la majorité de ces “dons” provenaient en fait d’organismes publics, comme la Banque centrale ou les banques publiques Ziraat ou Vakifbank.
Une autre partie des dons récoltés par la campagne gouvernementale viennent de généreux donateurs, comme le magnat de la construction Mehmet Cengiz, qui a contribué à hauteur de 150 millions d’euros. Connu pour sa proximité avec le pouvoir et son implication dans des scandales de corruption visant l’entourage du président turc, l’homme d’affaires, qui se voit souvent attribuer des contrats publics, bénéficie régulièrement d’amnistie pour ses dettes fiscales, souligne la presse d’opposition.
Le jour même de l’annonce de sa contribution, les autorités annonçaient de leur côté qu’une de ses entreprises, Eti Alüminyum, allait bénéficier de 151 millions d’euros d’aides publiques, indique le quotidien Cumhuriyet.
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Dans les zones touchées par le séisme, les arrestations de journalistes se multiplient, s’inquiète la Deutsche Welle Türkçe, qui cite un appel de Reporters sans frontières : “À l’occasion de cette tragédie, les autorités turques ne doivent pas restreindre encore davantage la liberté de la presse”, a ainsi demandé l’ONG.
Par ailleurs, 131 internautes accusés d’avoir posté des messages “provocateurs” sur les réseaux sociaux à la suite du séisme ont été placés en garde à vue depuis deux semaines, et 25 sont emprisonnés, rapporte de son côté le média en ligne T24.
Courrier International, le 23 février 2023.