Libération.fr, Alexandre Liagouras, le 17 août 2021
«Avec ce mur, nous allons stopper les arrivées», a déclaré Recep Tayyip Erdogan dimanche. Le président turc fait référence au bloc de béton de trois mètres de hauteur, édifié le long de la frontière avec l’Iran, sur lequel mise Ankara pour faire face à ce qui risque d’être une nouvelle vague migratoire.
Le chantier dans la province de Van, à la frontière avec l’Iran, porte d’entrée des migrants venus d’Afghanistan, a débuté en 2017 mais s’est fortement accéléré ces derniers mois, après l’annonce du retrait américain. La construction, presque terminée selon les autorités, a nécessité des moyens colossaux puisque l’édifice doit s’étendre sur 295 km à travers une région montagneuse, assorti de tours de contrôle, de radars et d’un grand nombre de gardes-frontières.
A lire aussi: Rapatriements d’Afghanistan : la droite et l’extrême droite agitent la peur migratoire
La Turquie, qui accueille déjà quatre millions de réfugiés syriens, voudrait à tout prix éviter une nouvelle crise migratoire. Mais avec la prise de Kaboul par les talibans, de nombreux Afghans vont choisir l’exode. Cette question est au cœur de l’actualité politique dans le pays, alors que l’opinion publique devient de plus en plus hostile aux réfugiés. Mercredi dernier, plusieurs dizaines de personnes ont pris d’assaut les boutiques et les logements de Syriens dans le district de Altindag, à Ankara.
6 milliards d’euros
L’opposition a aussi critiqué le gouvernement turc pour sa gestion de l’immigration. L’accord passé avec l’Union européenne en 2016 est notamment pointé du doigt. La Turquie s’est engagée à accueillir les migrants venus de Syrie en échange de 6 milliards d’euros. Le chef du principal parti d’opposition, Kemal Kilicdaroglu, a accusé Erdogan de vouloir accepter les réfugiés afghans sous la pression occidentale : «Ce pays ne peut pas gérer encore plus de réfugiés. Dis au peuple ce que tu leur a promis [aux Occidentaux]», a-t-il tweeté, faisant référence à un éventuel nouveau deal avec l’UE sur les migrants afghans.
Face au mécontentement, les autorités se veulent rassurantes. «La Turquie ne sera ni le garde-frontière ni le camp de réfugiés de l’Union européenne», a affirmé cette semaine le chef de la diplomatie, Mevlut Cavusoglu. Dimanche, le ministre de la Défense turc, Hulusi Akar, s’est quant à lui rendu sur le chantier afin de souligner l’engagement total du gouvernement à protéger ses frontières. Celle-là est «infranchissable», a-t-il déclaré avant d’ajouter : «Des renforcements supplémentaires ont été envoyés. On opère avec un millier de véhicules de surveillance, dotés de matériel de vision nocturne avec imagerie thermique. Grâce aux tours électro-optiques et des capteurs acoustiques, il est très facile de détecter toute mobilité sur la frontière.»
Mais la Turquie aura du mal à contrôler toute sa frontière avec l’Iran, qui mesure 500 km sur une zone très accidentée. Les migrants semblent prêts à prendre tous les risques d’une traversée très périlleuse. En avril, un groupe de 100 Afghans avait tenté de passer la frontière à cet endroit, la moitié ont perdu leur vie en tombant des falaises.
A lire aussi Dans l’est de la Turquie, le trajet tragique des migrants afghans