« La Turquie conditionne son soutien à l’entrée de Stockholm dans l’Alliance atlantique à l’extradition d’une trentaine de réfugiés politiques, accusés d’être en lien avec le PKK » dit Anne-Françoise Hivert dans Le Monde du 27 mai 2022.
L’entrevue a été « constructive » et la discussion va « se poursuivre ». Quelques heures après la rencontre de représentants des gouvernements finlandais, suédois et turc, à Ankara, mercredi 25 mai, Helsinki et Stockholm espéraient encore trouver un terrain d’entente pour que la Turquie lève ses objections à l’adhésion des deux pays nordiques à l’OTAN. Mais les négociations pourraient prendre « des semaines » plutôt que « des jours », a prévenu le ministre finlandais des affaires étrangères, Pekka Haavisto.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, n’a pas caché que ses réserves concernaient surtout la Suède. Le 23 mai, ses services ont présenté une liste d’exigences sous forme de réquisitoire contre Stockholm, accusé de financer et d’armer le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et sa branche syrienne, les Unités de protection du peuple (YPG). La Turquie réclame que la Suède mette fin à son « soutien politique au terrorisme », lève l’embargo qu’il impose depuis 2019 sur les exportations d’armes vers Ankara et extrade une trentaine de personnes soupçonnées d’avoir des liens avec le PKK.
« Nous allons regarder la liste présentée par la Turquie et résoudre certaines ambiguïtés », a réagi la première ministre sociale-démocrate suédoise, Magdalena Andersson. Affirmant que la Suède « n’envoyait pas d’argent ou d’armes à des organisations terroristes », elle a rappelé que le royaume scandinave avait été « un des premiers pays (…) à classer le PKK comme organisation terroriste [dès 1984] ».
Son gouvernement fait face à une pression croissante pour ne pas céder au « chantage » d’Ankara. Mercredi, dix-sept personnalités, dont les présidents des syndicats des écrivains, des dramaturges et des journalistes ainsi que les représentants de Reporters sans frontières et de l’association Pen, ont publié une tribune, exhortant à ne pas « tomber dans le piège d’Erdogan ». Selon eux, « en aucune circonstance, la Suède peut remettre des intellectuels à un régime qui essaie de réduire au silence ses critiques bien au-delà des frontières suédoises ».
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« C’est un démagogue qui se bat pour sa survie. Si nous commençons à lui céder, alors il posera d’autres exigences », commente Kurdo Baksi, journaliste d’origine kurde et signataire de la tribune. Il fait part du malaise dans la communauté kurde en Suède. Selon les estimations, ils seraient autour de 100 000, originaires de Turquie, d’Irak, d’Iran, de Syrie et du Liban. « Beaucoup trouvent que le gouvernement suédois n’est pas assez ferme face à la Turquie et ceux qui font l’objet d’une demande l’extradition sont particulièrement inquiets », précise M. Baksi.
Diaspora très active
Si la Suède se trouve aujourd’hui dans le viseur d’Ankara, c’est parce qu’elle est depuis longtemps « un refuge pour les réfugiés politiques, notamment pour des Turcs et des Kurdes qui ont fui après le coup d’Etat militaire en 1980 puis à la suite des violences avec le PKK, dans les années 1990 », explique Paul Levin, chercheur à l’Institut suédois des affaires internationales de Stockholm et spécialiste de la Turquie. « La diaspora kurde est très active et politiquement mobilisée », précise-t-il. Or, elle dispose d’une « forte sympathie chez les Suédois, au sein du Parti social-démocrate en particulier, mais également dans les formations plus à gauche ou auprès du Parti libéral ».
Au Parlement, huit des 349 députés sont d’origine kurdes. « Les Etats scandinaves sont comme des pensionnats pour les organisations terroristes. Il y en a même au Parlement dans certains pays », relevait M. Erdogan, le 13 mai. « Je peux vous assurer, Monsieur le président, que ce n’est pas vrai. Nous sommes des démocrates », a réagi la députée libérale Gulan Avci, née en Turquie, publiant une photo d’elle avec la députée indépendante Amineh Kakabaveh, ancienne peshmerga née en Iran. « L’une est pour l’adhésion de la Suède à l’OTAN. L’autre ne l’est pas. C’est comme cela que ça fonctionne dans une démocratie », précisait Mme Avci.
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L’ambassadeur de Turquie à Stockholm a confié – avant de se rétracter – qu’il souhaitait voir Mme Kakabaveh être extradée en raison de l’accord que la députée a passé, en novembre 2021, avec les sociaux-démocrates : en échange de son soutien au gouvernement Andersson, Stockholm renforcerait sa coopération avec le Parti de l’union démocratique (PYD) kurde en Syrie. Estimant que cet accord n’avait pas été honoré, la députée menace d’ailleurs le gouvernement de ne pas voter le prochain budget.
Pour les sociaux-démocrates, la situation est d’autant plus compliquée qu’ils ont opéré un virage à 180 degrés sur la question de l’adhésion à l’OTAN et que le parti reste divisé, observe M. Levin. « Beaucoup craignent qu’en abandonnant son non-alignement, la Suède doive renoncer à sa politique étrangère indépendante, qui inclue la défense des minorités comme les Kurdes, ce qui est exactement ce que la Turquie a exigé à peine la demande d’adhésion déposée. » Les pressions du président Erdogan donnent d’ailleurs des arguments aux opposants à l’OTAN, pour qui une des raisons principales du refus de la candidature suédoise était justement la présence de la Turquie au sein de l’Alliance atlantique.
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Le Monde, 27 mai 2022, Anne-Françoise Hivert