En marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le président turc a soufflé le chaud et le froid sur ses liens avec ses alliés de l’OTAN et avec l’Union européenne.
Le 20 Septembre 2023, signé par Nicolas Bourcier, paru dans Le Monde.
Recep Tayyip Erdogan a toujours aimé les réunions au sommet, ces grandes scènes internationales où le président turc peut faire démonstration de sa faconde et sa dextérité à manier la diplomatie sur les estrades et en coulisses. A la veille de l’Assemblée générale annuelle des Nations unies, où le chef de l’Etat s’est engagé, mardi 19 septembre, à « intensifier »ses « efforts » pour « mettre fin à la guerre » en Ukraine, il a tenu à rencontrer, à New York, le PDG américain milliardaire Elon Musk, à qui il a offert son dernier livre Un monde plus juste est possible, publié vingt ans après les attentats du 11-Septembre. L’opus, qui peut se lire comme une dénonciation d’un ordre international jugé inique, est un condensé de sa vision critique envers un camp occidental aveuglé par ses privilèges.
C’est dans cette veine, que le président turc a répondu, un peu plus tard dans la journée, à la journaliste Amna Nawaz sur la chaîne publique PBS. En douze minutes, Recep Tayyip Erdogan a déployé toutes les gammes de son jeu d’équilibriste diplomatique, marqué par un pragmatisme à toute épreuve. Alors que ce dernier avait accusé, la veille de son départ pour les Etats-Unis, l’Union européenne (UE) de « s’éloigner de la Turquie », ajoutant que le pays « pourrait lui aussi se séparer de l’UE », il a expliqué attacher « une grande importance aux décisions de l’UE ». Le bureau de la présidence turque a même publié un communiqué dans la foulée de l’entretien : « Nous constatons qu’une fenêtre d’opportunité s’est ouverte pour la revitalisation des relations entre la Turquie et l’UE dans cette période critique. »
Reconnaissant n’avoir pas réussi, lors de sa récente rencontre avec Vladimir Poutine, à Sotchi (Russie), à convaincre le président russe de revenir à l’accord sur le transport des céréales ukrainiennes, dont le Kremlin s’est retiré en juillet, Recep Tayyip Erdogan a rappelé devant la journaliste avoir obtenu l’engagement de Moscou à fournir un million de tonnes de céréales à l’Afrique. Et assuré n’avoir « aucune raison de ne pas faire confiance » au président russe. Dans un parallèle troublant pour ses alliés de l’OTAN (la Turquie est membre de l’Alliance depuis 1952), il a pris soin d’ajouter : « Dans la mesure où l’Occident est fiable, la Russie l’est tout autant. Cela fait cinquante ans que nous attendons aux portes de l’UE et, en ce moment, je fais autant confiance à la Russie qu’à l’Occident. »
Suède et avions de chasse
Evoquant l’Ukraine, le chef de l’Etat turc a expliqué qu’il était « tout à fait évident que cette guerre allait durer longtemps », mais que le dirigeant russe était favorable « à mettre fin à cette guerre le plus tôt possible. » A la journaliste interloquée, il a précisé : « C’est ce qu’il a dit. Et je crois ses remarques. »
Toujours prompt à souffler le chaud et le froid, M. Erdogan a également mis en avant, lors d’une conférence, sa volonté d’améliorer ses relations avec Washington. En 2023, les deux pays ont déployé une intense activité diplomatique au sujet de l’approbation par Ankara de la demande d’adhésion de la Suède à l’OTAN et de l’éventuel accord visant à fournir à la Turquie des avions de chasse américains F-16. « Nous sommes satisfaits du développement de notre coopération avec les Etats-Unis », a-t-il signifié, sans plus de détails. M. Erdogan a aussi tenu à séparer le dossier de la candidature de Stockholm à l’Alliance atlantique et l’adhésion de la Turquie à l’UE. « La position de la Suède et notre position actuelle sont deux choses distinctes », a-t-il insisté.
Le 10 juillet, en montant dans l’avion pour le sommet de l’OTAN à Vilnius, M. Erdogan avait appelé, au contraire, les Etats membres de l’UE à « ouvrir d’abord la voie à la Turquie » en échange de l’accès de la Suède à l’OTAN. Mardi, devant l’Assemblée générale de l’ONU, il s’en est pris une nouvelle fois aux pays européens – en premier lieu la Suède – où ont eu lieu des profanations et autodafés du Coran, estimant que ces attaques contre l’islam avaient atteint un niveau « intolérable ».
Le 20 Septembre 2023, signé par Nicolas Bourcier, paru dans Le Monde.