« En Turquie, où l’inflation bat des records historiques, ils sont de plus en plus nombreux à avoir du mal à boucler leurs fins de mois et à se nourrir correctement. La municipalité d’Istanbul, dirigée depuis trois ans par l’opposant Ekrem Imamoglu, vient d’ouvrir son premier restaurant pour les plus défavorisés. Des repas équilibrés et servis à des prix défiant toute concurrence. Le projet, appelé à s’étendre rapidement, rencontre déjà un grand succès » rapporte Anne Andlauer dans RFI du 15 juillet 2022.
« Le menu du jour : viande et aubergine au four, boulgour, soupe au poulet, yaourt à l’ail et à l’aneth. J’ai tout goûté, j’adore ! » Un menu unique, quatre plats, le tout pour 29 livres turques, soit 1,60 euro, même pas le prix d’une soupe dans n’importe quel autre restaurant d’Istanbul. Ici, c’est la mairie qui gère et sert 500 repas par jour dans deux salles de 80 places, remplies de midi à 20h.
Promesse d’Ekrem Imamoglu, le maire d’opposition élu en juin 2019, ce restaurant municipal a mis du temps à voir le jour, mais il arrive à point nommé. Avec un taux d’inflation officiel qui frôle les 80%, cela faisait près de 25 ans que le pouvoir d’achat des Turcs n’avait pas autant régressé.
Cet endroit aux airs de cantine s’adresse aux Stambouliotes qui en ont le plus besoin : étudiants, chômeurs ou bas salaires, et retraités. Comme Nevin et Fatma, la soixantaine, qui viennent manger ici quatre fois par semaine. « Seulement 29 livres ! À la maison, je ne pourrais pas cuisiner le même repas à ce prix-là. », assure Nevin. « C’est devenu tellement dur de joindre les deux bouts. Entre les factures, les courses », renchérit Fatma.
« Dans les magasins, les prix augmentent tous les jours ! Les étiquettes changent tous les jours ! », reprend Nevin. « Avant, le boulgour, c’était le produit le moins cher Aujourd’hui, c’est du luxe », affirme l’autre. « Et pourtant, à en croire ceux qui nous dirigent, tout va pour le mieux, la vie n’est pas si chère. Mais qu’ils viennent voir comment on vit ! », s’indigne encore Nevin. Istanbul est la ville la plus peuplée et la plus chère du pays.
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Le restaurant n’emploie que des femmes, dans un pays où moins du tiers de ces dernières travaillent. La mairie d’Istanbul prévoit d’en ouvrir une dizaine avant la fin de l’année.
« On sait très bien que l’inflation réelle est deux fois plus forte que le chiffre officiel parce qu’on la subit au quotidien et parce que c’est la conclusion d’économistes indépendants, explique Murat Yazici, le secrétaire général adjoint. Nos administrés ont de plus en plus de mal à se nourrir sainement, et même à se nourrir tout court. On ne prétend pas résoudre le problème de la pauvreté avec quelques restaurants, il faudrait pour ça revenir à une gestion correcte de l’économie. Mais on fait ce qu’on peut pour aider le plus grand nombre. »
La mairie craint toutefois que le gouvernement ne tente d’empêcher son projet, comme il l’a fait par le passé avec d’autres initiatives en faveur des plus démunis. Alors que l’inflation attise le mécontentement, le président Erdogan voit d’un mauvais œil tout ce qui peut renforcer la popularité des maires d’opposition, notamment celle d’Ekrem Imamoglu, l’un de ses potentiels rivaux aux élections de 2023.
RFI, 15 juillet 2022, Anne Andlauer