« L’explosion du nombre de visiteurs et le manque de mesures de conservation entraînent des dégradations du célèbre édifice reconverti en mosquée par le président turc, Recep Tayyip Erdogan, certaines étant même volontaires, dénonce une partie de la presse turque » rapporte Courrier International du 27 mai 2022.
Internautes, amateur d’arts, artistes et archéologues s’inquiètent des dégâts infligés à Sainte-Sophie, ce bâtiment emblématique d’Istanbul datant du IVe siècle et reconstruit sous sa forme actuelle au VIe siècle sous le règne de l’empereur byzantin Justinien.
Elle avait été transformée en mosquée lors de la conquête de la ville par les Ottomans en 1453, puis transformée en musée en 1934 par Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne et promoteur d’une laïcité autoritaire, avant d’être reconvertie en grande pompe en mosquée à l’été 2020 par le président Recep Tayyip Erdogan.
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Depuis, Sainte-Sophie a vu sa fréquentation quotidienne doubler, et même quintupler lors des fêtes religieuses comme récemment lors de l’Aïd El-Fitr, qui marque la fin du mois de jeûne de ramadan, où les lieux ont accueilli plus de 100 000 visiteurs par jour.
L’augmentation du nombre de visiteurs et le manque de mesures de protection des lieux débouchent sur des dégradations de l’édifice, déplore le média en ligne Gazete Duvar, citant l’archéologue Ömer Faruk Yavasçay, qui en a documenté une partie sur son compte Twitter. Il déplore :
“Un réservoir datant de l’époque ottomane a été brisé et sert désormais de casier à chaussures. Personne ne semble s’en offusquer.”
Mais certains de ces dommages sont visiblement intentionnels, s’alarme le média en ligne Kisa Dalga, qui, photographie à l’appui, s’indigne que “certains visiteurs arrachent des morceaux des murs et en remplissent des sacs en plastique en guise de souvenir, ces mêmes murs qu’il était même interdit de photographier au flash par le passé, par crainte de les abîmer”.
La porte de l’empereur Héraclius dégradée
De même, la porte de l’Empereur, la plus grande de l’édifice, construite au VIIe siècle par l’empereur Héraclius – avec ce qu’il désignait comme étant du bois issu de l’arche de Noé rapporté du mont Djoudi –, a souffert de destructions importantes. Certains visiteurs, croyant aux vertus miraculeuses de cette porte, en arracheraient des bouts pour les ingérer. “Manger la porte de Sainte-Sophie rompt-il le jeûne ?” titre un éditorial ironique du très kémaliste quotidien Sözcü. “Il [le président Erdogan] promettait de créer une génération pieuse et une nouvelle Turquie. La Turquie d’aujourd’hui est à peu près la même. Par contre, la religion a pris un sacré coup”, déplore l’éditorialiste, qui condamne ces superstitions.
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L’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) qui, depuis 1985, compte Sainte-Sophie sur sa liste du patrimoine mondial n’a pas encore réagi à ces récentes dégradations. L’organisation est actuellement en train d’étudier le rapport sur la conservation de la basilique qu’Ankara lui a livré en février 2022, avec un an de retard.
“Voilà pourquoi il était important que Sainte-Sophie soit un musée”, déplore l’architecte et spécialiste de la restauration historique Zeynep Ahunbay dans les colonnes du quotidien Milliyet. Qui ajoute :
“Il faut renforcer les mesures de contrôle et de sécurité, interdire l’accès aux zones en dehors des espaces de prière et limiter le nombre de visiteurs. C’est notre responsabilité de protéger cette pièce du patrimoine de l’humanité.”
Courrier International, 27 mai 2022, Photo/Murad Sezer/Reuters