« Toutes les deux semaines, le mardi, lepetitjournal.com Istanbul vous propose un rendez-vous « Parlons Turquie… » à travers des courts textes de Samim Akgönül, auteur du « Dictionnaire insolite de la Turquie ». Vous y êtes invités à découvrir des concepts, mots et expressions ou des faits peu connus mais aussi des personnages insolites de l’espace turc, inspirés du dictionnaire en question. Aujourd’hui, la lettre « I »… » rapporte Samim Akgönül dans Le Petit Journal du 19 septembre 2022.
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Zeus, comme on le sait, a beau être le plus fort des dieux de l’Olympe, il n’en est pas moins le plus humain d’entre eux, avec toutes ses faiblesses, craintes, fourberies et addictions. Il a surtout un faible pour les jeunes filles, bien qu’il craigne le courroux de sa femme, Héra, dont la jalousie la rend tantôt enragée, tantôt rusée. C’est Héra qui transforma la jeune Io en génisse pour empêcher son union avec son mari, et Io, en forme de génisse donc, traversa une voie d’eau pour arriver au pays qui portera désormais son nom : Ionie dont la capitale est Éphèse. Cette voie d’eau est appelée, depuis, le passage de génisse ou, en grec, Bosphoros. Appelé Boğaz (la gorge) ou Boğaziçi (gorge interne), le Bosphore est un détroit naturel de 32 km dont la largeur varie entre 700 m et 3000 m, qui relie la mer Noire à la mer Marmara, elle-même reliée à la mer Égée par le détroit des Dardanelles. Parsemées de petits villages de pêcheurs jusqu’au 19e siècle, bien distincts de la ville d’Istanbul, les deux rives du Bosphore ont d’abord accueilli des pavillons de chasse et de villégiatures de la classe dirigeante ottomane, avant de devenir de nouveaux centres résidentiels et d’affaires au 20e siècle. Les palais et les yalı de la 2e moitié du 19e siècle, et du début du 20e siècle, sont toujours visibles lors d’une promenade sur le Bosphore.
Les yalı, des bijoux d’architecture
Ces maisons tirent leur appellation générique de yalı du grec Gialòs signifiant le littoral. Les plus anciens possèdent également un « garage » pour une barque, s’ouvrant directement dans la maison. A partir du 18e siècle, les bords du Bosphore avaient commencé à attirer les membres de la dynastie ottomane comme domaines de chasse et quelques pavillons de chasse avaient été construits près des villages des pêcheurs grecs parsemant les deux rives. C’est surtout au 19e siècle, après l’édification de nombreux palais appartenant à la dynastie ottomane qui délaissait peu à peu le vieux Stamboul, que les hauts fonctionnaires firent construire des demeures directement sur le Bosphore, d’abord comme résidences d’été, puis comme résidences principales. Actuellement, 366 yalı classés monuments historiques surplombent les courants du Bosphore. Si on ajoute à ceux-là des constructions plus récentes du 20e siècle, au total 620 demeures émerveillent les voyageurs sur le détroit, même si une partie d’entre elles, notamment sur la côte européenne, ne sont plus en bord de mer car une route les en sépare. Les quartiers abritant le plus de yalı sont Sarıyer (136), Beykoz (109), Üsküdar (84) et Beşiktaş (37).
Le Bosphore : une navigation intense
La navigation sur le Bosphore, difficile en raison des courants contradictoires, est régie par la Convention de Montreux (1936). Pour les bâtiments de commerce le passage du Bosphore est libre et ne peut être interdit en temps de paix. Ainsi, chaque jour, plus de 150 navires transitent par le détroit du nord au sud ou du sud au nord, croisant les bateaux municipaux, les vapur qui transportent plus de 1 000 000 passagers par jour entre les deux rives.
Les vapur qui déambulent dans les eaux du Bosphore et de la mer Marmara tels des cygnes fiers et tranquilles sont des symboles de la ville d’Istanbul. C’est à partir de 1854 que le transport maritime sur les eaux d’Istanbul commence avec la fondation d’une société anonyme Şirket-i Hayriye qui commanda à l’Angleterre six bateaux du type Vaporetto de Venise (d’où leur nom). Ces bateaux dont les capitaines étaient exclusivement des Grecs, servirent durant la première guerre mondiale et la guerre d’indépendance. En 1944, la compagnie fut nationalisée. Actuellement, 28 Vapur sillonnent les eaux d’Istanbul sur 21 lignes régulières desservant 48 quais. Non seulement c’est le moyen de transport préféré des habitants d’Istanbul mais de plus ces vapur offrent un moyen privilégié d’aborder la ville pour les touristes.
Les îles des Princes, lieux de villégiature très prisés
C’est avec ces mêmes vapur que l’on se rend aux îles de la ville. En effet, dans la mer Marmara, près des côtes asiatiques, flottent neuf îles, d’abord appelées « îles des prêtres » en raison des nombreux monastères orthodoxes qui s’y trouvent, ensuite « îles des Princes » car lieux de villégiature préférés des princes byzantins. Les Turcs ne pouvant pas appeler ces îles ainsi (car cela évoquerait le passé grec), ils les appellent sobrement Adalar (les îles). Les 4 plus grandes sont habitées : Büyükada (Prinkipo), Heybeliada (Halki), Burgazada (Antigoni) et Kınalıada (Proti) accueillent les résidences secondaires des Stambouliotes, notamment (encore) des minoritaires juifs, grecs et arméniens. Sedefadası (Terebinthos) est également habitée mais par un nombre très réduit d’ilotiers. L’accès aux îles se fait par bateau municipal ou privé depuis Kabataş, Kadıköy ou Bostancı.
Pendant des décennies, l’attraction principale des îles a été l’absence de voitures. Les déplacements internes se faisaient par phaétons tirés par des chevaux. En raison de la maltraitance de ces animaux, la municipalité a interdit les phaétons en 2020 et les a remplacés par des minibus électriques d’une laideur difficile à égaler. Les îles des Princes, notamment Büyükada, sont les lieux de vacances préférés des touristes venant des pays du golfe.
Le Petit Journal, 19 septembre 2022, Samim Akgönül