« La visite du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane est placée sous le signe de l’économie. Selon la presse turque, Ankara cherche en effet désespérément des moyens d’atténuer la crise qui frappe le pays » rapporte Courrier International du 22 juin 2022.
Après une tournée régionale qui l’a conduit en Égypte, puis en Jordanie, Mohammed ben Salmane (MBS), prince héritier d’Arabie saoudite, est arrivé mercredi 22 juin en Turquie. Une visite qui scelle le rapprochement entre les deux pays, entamé par une visite officielle du président turc, Recep Tayyip Erdogan, à Riyad au mois d’avril.
Le soutien apporté par Ankara dans la région aux Frères musulmans, rivaux politiques de l’Arabie saoudite lors des “printemps arabes” de 2011, avait mis à mal la relation entre les deux pays. Et l’assassinat, en 2018, dans le consulat saoudien d’Istanbul, du journaliste et opposant saoudien Jamal Khashoggi avait achevé de les dresser l’un contre l’autre.
Les services secrets turcs étaient en effet parvenus à prouver l’implication directe de l’entourage de MBS dans cet assassinat (en plus du rapport de la CIA qui a directement pointé du doigt le prince héritier saoudien).
Mais dans une démarche visant à sortir de son isolement croissant au Moyen-Orient et à obtenir des aides financières, la Turquie, en proie à une profonde crise économique, a décidé en avril dernier – à la veille de la visite d’Ergodan à Riyad – de clore ses investigations sur ce meurtre et de renvoyer le procès à Riyad, malgré l’opposition de la présidente du tribunal, la juge Nimet Demir.
En contrepartie, Riyad avait accepté de lever son embargo sur les produits turcs. Désormais, ce sont les potentiels investissements saoudiens dans le pays qui font saliver la presse progouvernementale.
Le quotidien islamo-nationaliste Yeni Safak souligne ainsi que le prince héritier voyage en Turquie “accompagné par 35 hommes d’affaires” en citant le président de l’Institut pour le commerce extérieur, Nail Olpak : “Ce sont tous des hommes d’affaires de premier plan, dont certains ont joué un rôle important dans les relations économiques entre nos deux pays.”
Belle saison touristique ou réputation piétinée ?
Un éditorialiste du quotidien Sabah se réjouit, lui, de l’arrivée des touristes saoudiens, alors que le pays, dont l’inflation bat des records et la monnaie nationale ne cesse de dégringoler, est friand de devises étrangères : “L’interdiction de voyage en Turquie a été levée et le premier avion de touristes saoudiens atterrira à Trabzon le 1er juillet. […] Une belle saison touristique nous attend.”
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De son côté, le chef du principal parti d’opposition et possible futur rival d’Erdogan à l’élection présidentielle, Kemal Kiliçdaroglu, a déploré que celui-ci “donne l’accolade au commanditaire du meurtre” de Khashoggi, rapporte le quotidien Birgün.
“Vous avez plongé la Turquie dans la crise et voilà maintenant que vous allez mendier de l’argent en abandonnant en échange le procès d’un meurtre qui a été commis sur le sol turc. La réputation de notre État et de notre pays est piétinée pour de l’argent.”
Dans un entretien avec le média d’opposition Halk Tv, la juge Nimet Demir, qui s’est opposée à enterrer le procès Khashoggi et qui vient d’apprendre sa mutation dans une ville de province du sud du pays, n’a pas hésité à tirer à boulets rouges contre le pouvoir. Et à menacer de démissionner :
“Je ne m’y attendais pas. Mais ce n’est pas une surprise venant d’un système autoritaire. Je suis une conservatrice, mais j’ai toujours cherché à travailler en conformité avec les principes de la démocratie, des libertés et des droits de l’homme.”
Courrier International, 22 juin 2022