« Rassemblements mixtes où l’on vend de l’alcool, K-pop jugée trop “efféminée” ou encore chanteuse kurde bannie : les interdictions de festivals et de concerts pleuvent sur la Turquie conservatrice » rapporte Courrier International du 21 mai 2022.
En Turquie comme ailleurs, l’ouverture de la saison des festivals de musique et des concerts s’annonçait dense cette année avec l’arrivée des beaux jours et la décrue de la pandémie de Covid-19. Mais une vague d’interdictions est venue doucher cet enthousiasme.
Ainsi, dans la ville étudiante d’Eskisehir, un festival de musique qui devait réunir des stars du rock turc a été interdit par la préfecture pour “risque de trouble à l’ordre public”, rapporte le média en ligne T24. Et ce grâce au lobbying intensif d’associations conservatrices disposant de puissants relais chez les autorités, explique T24. Voici ce que ces associations, rassemblées autour d’une “plateforme de la fraternité”, ont affirmé :
“Lors de ce prétendu festival, garçons et filles vont dormir mélangés sous des tentes, s’empoisonner pendant des jours avec de l’alcool et de la drogue dans une ambiance immorale qui n’a rien à voir avec la culture ou la musique.”
Les organisateurs ont fait savoir qu’ils entendaient reprogrammer le festival annulé entre le 9 et le 12 juin, souligne le très progouvernemental quotidien Sabah, qui ne peut néanmoins s’empêcher d’interroger ironiquement : “Quel est vraiment le ‘danger’ de ce festival, monsieur le préfet ? Et si danger il y a, sera-t-il passé en juin ?”
“Mode de vie non genré”
À Ankara, un concert censé célébrer les 65 ans des relations diplomatiques entre la Turquie et la Corée du Sud a lui aussi été annulé. Ce concert de pop coréenne, ou K-pop, un genre prisé par la jeunesse, a été supprimé sans explication.
Une annulation néanmoins applaudie par la presse conservatrice. Le quotidien islamiste Yeni Akit avait en effet lancé une campagne pour l’interdiction de ce concert, le style adopté par les chanteurs de K-pop étant jugé trop “efféminé”par les conservateurs. “Le ministère de la Culture et du Tourisme soutient un concert gratuit du groupe de K-pop Mirae, qui tente d’imposer au monde un mode de vie non genré”, s’était ainsi ému ce journal.
Enfin, la municipalité AKP (le parti islamo-nationaliste au pouvoir) de Derince, une petite ville près d’Ankara, a également décidé, au dernier moment et sans motif, d’interdire un concert de la célèbre chanteuse Aynur Dogan, qui a la particularité de chanter en langue kurde.
Une interdiction condamnée par une grande partie de l’opposition, au premier rang de laquelle le parti prokurde du HDP, mais aussi le social-démocrate et nationaliste CHP, principal parti d’opposition à l’AKP, dont une députée a entonné une chanson d’Aynur Dogan lors d’une prise de parole au Parlement, regrettant que “dans ce pays, on puisse chanter en anglais mais pas en kurde”,rapporte le quotidien Evrensel.
“Interdire de s’amuser”
Par ailleurs, à la faveur de la pandémie de Covid-19, les autorités turques avaient mis en place une interdiction de jouer de la musique après minuit. Alors qu’elles n’entendaient pas l’abroger, elles ont fini par la décaler, à compter du mois de mai, à une heure du matin.
Une vague d’interdictions critiquée sur Twitter par le président du CHP et possible candidat aux élections présidentielles de 2023, Kemal Kiliçdaroglu :
“La musique est interdite la nuit. La jeunesse aime la K-pop, on l’interdit. On interdit la musique en kurde. Il ne faudrait pas s’étonner s’ils venaient à proposer un amendement de la Constitution pour interdire de s’amuser. Dans ce pays, nous sommes nés libres et nous mourrons libres. Rentre-toi cela dans la tête, AKP.”
Courrier International, 21 mai 2022