« Alors que la Suède et la Finlande ont officiellement soumis leurs demandes d’adhésion à l’Otan, Ankara assure être prêt à empêcher Stockholm de rejoindre l’Alliance. Des représentants de la communauté kurde de Suède somment le gouvernement de ne pas céder au chantage du président turc » rapporte Antoine Jacob dans Courrier International du 18 mai 2022.
Nouvelle étape historique pour la Finlande et la Suède. Leurs ambassadeurs au siège de l’Otan, à Bruxelles, ont officiellement transmis, ce 18 mai, les demandes d’adhésion de leurs pays respectifs à l’organisation militaire. Le processus d’acceptation puis de ratification de ces candidatures peut désormais commencer. Pour qu’il soit mené à bien, chacun des Parlements des trente États membres devra donner son feu vert.
Or la Turquie menace de rejeter cet élargissement si ses exigences ne sont pas satisfaites. Alors que des négociations ont commencé, les principales figures de la communauté kurde de Suède redoutent que leur pays d’accueil ne modifie sa politique à l’égard des Kurdes afin de satisfaire Recep Tayyip Erdogan, constate le quotidien suédois Dagens Nyheter.
Environ 100 000 Kurdes vivent en Suède, d’après des estimations que le Bureau des statistiques ne peut pas confirmer puisqu’il ne prend pas en compte l’affiliation ethnique des 10,5 millions de Suédois. L’une de leurs représentantes les plus connues est la députée Amineh Kakabaveh, une Kurde d’Iran arrivée dans le royaume à l’âge de 18 ans. Pour elle, Ankara cherche à réduire au silence les critiques qui émanent régulièrement de Suède contre les atteintes aux droits des Kurdes.
“Le gouvernement turc veut me faire taire, moi qui suis socialiste, kurde et femme. Une personne qui défend les droits des femmes, les droits des Kurdes et les droits des minorités”, assure à Dagens Nyheter cette députée, non inscrite depuis son départ du Parti de gauche (ex-communiste).
Dialogue ou concessions ?
Le gouvernement social-démocrate a assuré qu’il ne ferait pas de concessions à Ankara. Mardi, toutefois, la Première ministre, Magdalena Andersson, s’est dite “prête à mener un dialogue avec la Turquie”. Des propos tenus lors d’une conférence de presse tenue avec le président finlandais, Sauli Niinistö, en visite à Stockholm pour promouvoir la candidature commune des deux pays à l’Otan. “La possibilité existe aussi de développer nos relations bilatérales” avec Ankara, a fait miroiter la dirigeante (ici filmée par le journal Aftonbladet, proche du parti au pouvoir).
Côté turc, comme l’explique son ambassadeur à Stockholm, Hakki Emre Yunt, au quotidien Expressen, on demande que la Suède et la Finlande cessent de soutenir des “organisations terroristes”, en particulier le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – également qualifié d’organisation terroriste par l’Union européenne, les États-Unis, et l’Otan.
La Turquie réclame notamment l’extradition de Kurdes ayant obtenu l’asile politique dans ces pays nordiques, pour leurs liens présumés avec ces organisations “terroristes”. Ainsi que la levée de l’embargo sur les ventes d’armes à la Turquie, imposé en 2019 par plusieurs pays européens (dont la Finlande) à l’initiative de la Suède, en représailles de l’offensive turque contre des militants kurdes de Syrie.
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“Un jeu pour la galerie”
“J’espère vraiment que les sociaux-démocrates ne feront aucune concession”,insiste Gulan Avci, une Kurde de Turquie élue au Parlement suédois sous les couleurs libérales. Interrogée par le quotidien conservateur Svenska Dagbladet, elle voit derrière les exigences turques “un jeu pour la galerie”. “Erdogan fait cela chaque fois qu’un nouveau pays demande à adhérer à l’Otan”, raille-t-elle, en notant qu’il y a des élections législatives et présidentielle en Turquie en 2023. “Erdogan a conduit la Turquie au bord de la ruine. Il doit maintenant brandir une sorte de gain.”
Pour le journaliste et auteur Kurdo Baksi, autre figure kurde (turque) connue dans le royaume, “ce sont les Kurdes qui risquent de payer la facture de l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan : Erdogan fait actuellement le jeu de Moscou au sein de l’Otan, pour que Vladimir Poutine le laisse envahir encore plus de territoires kurdes en Syrie dans le but de les conquérir avant les élections turques de juin 2023”, lance-t-il dans une tribune publiée par le journal Expressen (libéral).
Courrier International, 18 mai 2022, Antoine Jacob, Photo/Anders Wiklund/AP/SIPA