Ankara resserre l’étau sur les médias égyptiens en exil . « Beaucoup d’opposants au régime d’Abdel Fattah Al-Sissi avaient trouvé refuge à Istanbul et Ankara. Les médias qu’ils y ont créés risquent d’être sacrifiés sur l’autel de la nouvelle politique régionale de Recep Tayyip Erdogan » rapporte Courrier International du 12 mai 2022.
Depuis six ans, la chaîne Al-Sharq diffusait librement ses critiques contre le régime autoritaire du Caire depuis Istanbul. Mais les choses ont bien changé, rapporte le quotidien britannique Financial Times. La chaîne a dû retirer certains contenus de son site, et les autorités turques ont demandé de “ne pas parler du tout d’Abdel Fattah Al-Sissi”, témoigne Ayman Nour, opposant égyptien historique et propriétaire de la chaîne.
Mekameleen TV, autre “chaîne farouchement anti-Sissi”, selon l’expression du Financial Times, a elle aussi annoncé en avril qu’elle cessait ses activités en Turquie, où elle était installée depuis huit ans.
La question des Frères musulmans
Cette annonce a été faite “quelques heures seulement après la très symbolique rencontre [le 28 avril] entre Recep Tayyip Erdogan et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, qui est un allié de l’Égypte”.
Ces pressions exercées sur les deux chaînes s’expliquent par la nouvelle politique régionale du président turc, Recep Tayyip Erdogan, soucieux de rétablir de bonnes relations avec certains pays arabes avec lesquels il a été à couteaux tirés depuis les révolutions arabes de 2011. Il s’agit notamment des régimes égyptien, saoudien et émirati, hostiles au “printemps arabe”, alors qu’Erdogan s’était rangé du côté des révolutions, puis avait soutenu le président égyptien élu Mohamed Morsi, représentant des Frères musulmans.
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Mais en proie à la crise économique, Recep Tayyip Erdogan s’est résolu à “courtiser les rivaux du Golfe et d’Égypte pour soutenir le commerce”, explique le Financial Times. C’est également ce qui explique la décision turque de mettre un terme à la procédure judiciaire par contumace engagée contre 26 Saoudiens accusés du meurtre de Jamal Khashoggi, journaliste saoudien assassiné en 2018 à Istanbul.
Avec Le Caire, la conciliation se passe “un peu plus lentement”, du propre aveu du ministre des Affaires étrangères turc, Mevlut Cavusoglu, cité par le journal. Les officiels égyptiens “ont très clairement dit quelle était la condition” pour avancer, explique Ayman Nour, de la chaîne Al-Sharq, “à savoir la fermeture des chaînes de télévision qui émettent à partir de la Turquie, ou la restriction de leur champ d’action”.
Des sympathies pro-Erdogan
Pour les journalistes concernés, la situation est d’autant plus délicate que beaucoup d’entre eux sont des sympathisants du président turc et se sentent redevables aux autorités qui continuent de leur offrir l’asile.
Qui plus est, parmi les quelque 800 personnes qui travaillent pour ces médias égyptiens d’opposition en exil, près de 90 % ont obtenu un passeport turc, selon Aboubakr Khallaf, à la tête d’une association de journalistes moyen-orientaux, cité par le Financial Times.
Plutôt que de “mettre le gouvernement turc dans l’embarras vis-à-vis des pays amis arabes”, nombre d’entre eux ont décidé de relocaliser leurs activités “dans d’autres pays”, sans autres précisions.
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Courrier International, 12 mai 2022, Photo/Ozan Kose/AFP