« Une action en justice est lancée par trois associations sur la base du concept juridique de « devoir de vigilance » des multinationales. Le groupe Yves Rocher, qui n’est pas directement au cœur des faits reprochés, est poursuivi pour les agissements d’une filiale en Turquie » dit Raphaël BOUKANDOURA dans Ouest-France.
Les associations Sherpa et Actionaid ainsi que le syndicat turc Petrol-Is ont annoncé, mercredi 23 mars, l’ouverture d’une action judiciaire contre le groupe Rocher. La marque de cosmétique, qui a son siège dans le Morbihan, est poursuivie pour les actions de sa filiale turque Kosan Kozmetik, sur la base du « devoir de vigilance ».
Un concept introduit dans le droit français en 2017 et qui impose aux grands groupes français de veiller au bon fonctionnement de leurs filiales à l’étranger, afin, notamment, de prévenir toute atteinte grave aux droits des employés.
« Une zone à risque en termes de droits des femmes »
En 2018, les ouvrières de cette entreprise de 350 salariés, située à Gebze, dans la banlieue d’Istanbul, qui protestaient contre leurs conditions de travail et de rémunération, avaient demandé la création d’un syndicat.
La direction turque de l’entreprise, dont les produits sont commercialisés en Turquie sous la marque Flormar, avait alors tout fait pour empêcher la création d’un syndicat, allant jusqu’à licencier 132 employées sous des prétextes fallacieux, affirme le syndicat Petrol-Is. « Le groupe Rocher (qui a acquis 51 % de l’entreprise, en 2012) aurait dû identifier la Turquie comme étant une zone à risque en termes de droits des femmes, de droit du travail et de liberté syndicale et développer un plan de vigilance conséquent pour éviter qu’une telle situation se produise. En ne le faisant pas, nous considérons qu’il a manqué à ses obligations », détaille Lucie Chatelain, de l’association Sherpa.
« Indemnisation insuffisante »
Après une mobilisation sociale de près d’un an, très suivie en Turquie, et une longue bataille judiciaire, les ouvrières licenciées se sont vu accorder une indemnisation par l’entreprise. « Mais cette indemnisation est insuffisante, j’ai donné cinq ans de ma vie à cette entreprise avant d’être licenciée simplement pour avoir manifesté mon soutien à l’une de mes collègues qui a été renvoyée », témoigne Sebahat Zengin, 28 ans. Depuis, la jeune femme est au chômage : « Je n’arrive plus à retrouver du travail car nos anciens patrons ont fait passer le mot et, dans la région, personne ne veut nous embaucher. »
Comme elle, trente-quatre anciennes salariées demandent au groupe français une indemnisation comprise entre 40 000 et 60 000 € par personne. « C’est la première fois en France que des salariés d’une filiale d’un groupe français demandent, sur la base du non-respect du devoir de vigilance, des dommages et intérêts à la maison mère », souligne Lucie Chatelain.
« Une liberté syndicale bafouée »
Au-delà d’une possible réparation, les plaignants entendent faire de ce procès un exemple : « Il ne doit pas y avoir de double standard, des droits pour les travailleurs en France et une liberté syndicale bafouée pour les travailleurs étrangers alors qu’ils travaillent tous pour la même société », estime Riza Köse, responsable des relations avec l’étranger au sein du syndicat Petrol-Is.
La première audience de ce procès des ouvrières turques de Flormar, qui risque d’écorner l’image d’un groupe qui place les femmes et les droits des femmes au centre de sa communication, est prévue pour le 30 juin.
Sollicité mercredi 23 mars, le groupe Rocher, par ailleurs confronté au maintien de ses activités en Russie, n’a pas donné suite.
Ouest-France, 24 mars 2022, Raphaël BOUKANDOURA