La Croix, 1 septembre 2021, Hugo Tortel
Depuis près de vingt ans, les forces militaires américaines contrôlaient et assuraient la sécurité de l’aéroport de Kaboul, principale porte d’entrée en Afghanistan. Face à l’incapacité des talibans à l’administrer, la Turquie aspire à jouer un rôle dans son fonctionnement.
Difficile de s’improviser aiguilleur du ciel quand on est un combattant taliban, habitué à avoir une kalachnikov entre les mains. L’enjeu du contrôle de l’aéroport est devenu central depuis le départ des troupes américaines lundi 30 août, un jour avant la limite négociée avec les talibans.
Ces derniers se sont toujours prononcés contre toute présence étrangère militaire au-delà de ce jour. « Nos combattants et nos forces spéciales sont capables de contrôler l’aéroport et nous n’avons besoin de l’aide de personne pour la sécurité et le contrôle administratif de l’aéroport de Kaboul », avait même assuré à l’AFP un porte-parole des talibans, Bilal Karimi.
Les nouveaux maîtres de l’Afghanistan sont toutefois désireux de conserver des échanges avec le monde extérieur, notamment pour l’approvisionnement essentiel de l’aide humanitaire. « L’Organisation mondiale de la santé a été obligée d’acheminer une aide d’urgence en médicaments via l’aéroport de Mazar-i-Sharif dans le nord du pays, donc c’est très important qu’il y ait un accès à Kaboul », analyse Karim Pakzad, chercheur à l’Iris.
Or, il leur est impossible d’assurer correctement le fonctionnement du va-et-vient incessant des avions. Encore plus depuis le chaos de ces dernières semaines et les explosions du 26 août revendiquées par le groupe terroriste État islamique au Khorassan. Ainsi, le premier objectif pour permettre une reprise normale du trafic aérien sera de nettoyer l’aéroport et d’assurer la sécurité des lieux.
Influence turque croissante
Par la suite, il faudra que les talibans acceptent de déléguer l’aspect technique et logistique. Ils sont actuellement en négociation avec la Turquie, à qui ils ont demandé de l’aide. « Le point actuellement en discussion entre les deux parties est celui de la sécurité du personnel turc. Et la Turquie demanderait probablement que leurs propres soldats assurent celle-ci », relève le spécialiste de l’Afghanistan. L’armée turque avait évacué, le 25 août, leurs 500 militaires non combattants présents dans le pays dans le cadre d’une mission de l’Otan. Mais le président Recep Tayyip Erdoğan avait annoncé qu’il comptait bien continuer à jouer un rôle majeur en Afghanistan.
En dehors d’un intérêt économique minime, la stratégie turque vise plusieurs objectifs. Selon Karim Pakzad, le but d’Ankara est d’abord d’intensifier son influence, en plus du reste du monde musulman, sur l’Asie centrale. « Depuis des années, la Turquie essaye de mettre en place un axe jusqu’au Pakistan, avec lequel les Turcs ont d’excellentes relations, en passant par l’Afghanistan », affirme-t-il. Il est aussi question de se rapprocher de ses alliés occidentaux de l’Otan, après plusieurs épisodes diplomatiques tumultueux. Sans oublier la question migratoire et le risque de l’afflux de réfugiés afghans à sa frontière orientale avec l’Iran, où un mur a été construit pour prévenir ces mouvements de population.Depuis le début de la crise afghane, le Qatar joue aussi un rôle prépondérant dans l’avenir des échanges aériens depuis l’Afghanistan. Mercredi 1er septembre, le premier avion depuis le départ des troupes américaines, un Boeing C-17A Globemaster qatari avec à son bord une équipe technique, s’est posé sur le tarmac de l’aéroport de Kaboul, à la demande des talibans. Aucun accord officiel n’a été établi pour l’heure. Alliés de longue date, le Qatar et la Turquie ne devraient pas se brûler mutuellement les ailes sur ce dossier.