La Turquie affronte en ce moment, sur sa côte Turquoise, les pires incendies de son histoire. La Grèce voisine fait face à la plus forte canicule depuis trente-quatre ans.
Le Monde, le 4 août 2021, par Marina Rafenberg(Athènes, correspondance) et Marie Jégo(Istanbul, correspondante)
« Je vais pleurer de rage », a lancé, mardi 3 août sur Twitter, Muhammet Tokat, le maire de Milas (région de Mugla), une ville balnéaire du sud de la Turquie où se situe une importante centrale thermique menacée par les flammes. Voici une semaine que la Turquie est confrontée aux pires incendies de son histoire, un désastre écologique majeur pour sa côte turquoise, dont une partie des collines verdoyantes ne sont plus que désolation. Environ 100 000 hectares de cultures et de pinèdes ont été réduits en cendres, huit fois plus que la moyenne annuelle sur la période 2008-2020.
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Depuis les premiers départs de feux, huit personnes ont péri et des centaines ont été blessées, tandis que de nombreux villageois ont perdu leurs maisons et leur bétail. En une semaine, les 5 000 pompiers mobilisés sont parvenus à maîtriser 130 incendies dans 30 provinces du pays, soulignent les autorités. Toutefois, les vents violents, la canicule et la sécheresse alimentent sans cesse de nouveaux foyers, notamment dans les régions d’Antalya, de Mugla et d’Isparta, où les pompiers étaient toujours en action mardi. A Bodrum, station balnéaire réputée, des milliers d’habitants et de touristes ont été évacués par bateau, les routes étant bloquées par les flammes.
Beaucoup ont dû fuir dans la précipitation, laissant derrière eux leurs fermes, leurs troupeaux, leurs maisons secondaires. Mardi soir, la situation semblait critique à Milas où M. Tokat, membre du principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), s’est fait l’écho du mécontentement d’une partie de la population, remontée contre la gestion chaotique du gouvernement. Le plus souvent, les riverains luttent contre les feux à coup de seaux d’eau tandis que les pompiers épuisés réclament en vain des interventions aériennes.
Ankara aurait refusé l’aide d’Athènes
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a reconnu que le pays ne disposait pas d’une flotte d’avions anti-incendies en état de fonctionner. Sur les six Canadair que possède la Turquie, « trois n’ont plus de moteurs, des oiseaux y ont fait leurs nids », a précisé Bekir Pakdemirli, le ministre de l’agriculture et des forêts. Le gouvernement est également critiqué pour avoir tardé à demander l’aide de l’Union européenne. Au sixième et septième jours du sinistre, soit lundi et mardi, trois Canadair ont été envoyés par l’Espagne et la Croatie. Selon des médias grecs, Ankara aurait refusé l’aide d’Athènes, préférant s’adresser à la Russie, à l’Ukraine et à l’Azerbaïdjan.
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La Grèce, voisine, n’est pas non plus épargnée par les phénomènes extrêmes. Mardi, le service météorologique grec a enregistré une température record de 47 °C près de Thessalonique, dans le nord du pays. Depuis plusieurs jours, la Grèce traverse une période caniculaire, la troisième depuis le début de l’été. Pour le premier ministre, Kyriakos Mitsotakis, il s’agit de la « pire canicule depuis 1987 », lorsque 1 000 personnes étaient décédées lors d’une vague de chaleur. Il a appelé les Grecs à « limiter leur consommation électrique » pour éviter une panne générale, en particulier le soir, lorsque les panneaux solaires ne peuvent pas produire d’énergie.
Avec l’utilisation massive de la climatisation ces derniers jours, le système électrique est sous pression, puisque, mardi, la demande a grimpé à plus de 10 000 mégawatts (MW), et que le pays peut produire jusqu’à 11 000 MW. Pour ces besoins, toutes les centrales, même l’une de lignite à Megalopoli (Péloponnèse, sud-ouest) qui avait été fermée car trop polluante, ont été mises en service.
L’observatoire d’Athènes a calculé, à l’aide d’un drone équipé de caméra thermique, que les températures sur l’asphalte de la capitale grecque sont montées jusqu’à 60 °C. Pour Sandy Fameliari, chargée des questions liées au changement climatique pour l’ONG Greenpeace en Grèce, le pays « a besoin de prendre des mesures audacieuses pour s’adapter à ces conditions climatiques, notamment dans les grandes villes, pour que les bâtiments soient plus vivables ».
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Les experts l’assurent : ces températures extrêmes, qui ne baissent pas en dessous de 30 °C à 35 °C la nuit, seront plus fréquentes avec le réchauffement climatique. « Nous sommes dans une phase de dérégulation climatique absolue », s’est inquiété ces derniers jours le vice-ministre grec de la protection civile, Nikos Hardalias. Car, outre la canicule, la Grèce doit faire face à une quarantaine de feux actifs. Sur le mois de juillet, 1 584 feux ont été recensés, contre 953 en juillet 2019, une année d’incendies déjà importants.
Ce week-end, dans le Péloponnèse, près de la ville de Patras, 3 000 hectares ont été ravagés. Mardi, les flammes cernaient la localité de Varympompi, dans la banlieue nord de la capitale grecque, menaçant des habitations. Les services d’urgence grecs avaient reçu près de 6 000 appels quotidiens en raison de la canicule et des incendies, le double des jours habituels. « Ce que nous vivons cette année sera sûrement la normalité à la fin de ce siècle », avertit le président de la commission sur le changement climatique, Konstantinos Synolakis, en appelant à une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre.
Marina Rafenberg(Athènes, correspondance) et Marie Jégo(Istanbul, correspondante)