Un compromis a été trouvé, lundi 10 mars, entre le président syrien par intérim, Ahmed Al-Charaa, et le chef des Forces démocratiques syriennes, Mazloum Abdi, pour intégrer au sein de l’Etat les institutions autonomes kurdes du nord-est du pays.
Ahmed Al-Charaa avait besoin de réaliser un coup politique pour redonner du souffle à sa présidence, après les tueries perpétrées contre des civils alaouites aux mains des forces de sécurité syriennes. Le commandant des Forces démocratiques syriennes (FDS, à dominante kurde), Mazloum Abdi, a offert au président par intérim syrien une victoire à revendiquer, en venant signer à Damas, lundi 10 mars, un accord historique prévoyant l’intégration au sein de l’Etat de toutes les institutions civiles et militaires relevant de l’administration autonome kurde du nord-est de la Syrie.
Cet accord, signé sous la médiation des Etats-Unis, est un signal fort d’unité au lendemain d’une tentative de déstabilisation inédite des autorités de Damas par les partisans de l’ancien président déchu, Bachar Al-Assad. Il rejette les « appels à la division », alors que le nouveau pouvoir, issu des factions islamistes qui ont renversé M. Assad le 8 décembre 2024, peine à imposer son autorité à l’ensemble du pays. Il va à l’encontre des pressions, qui s’exercent, notamment de la part d’Israël et de l’Iran, pour aiguiser les divisions internes. Coïncidant avec l’annonce de la signature de l’accord, des frappes israéliennes ont visé, lundi soir, des positions militaires dans le nord de la province de Deraa, dans le Sud syrien.
Défiance de Donald Trump
Cet accord est un geste de bonne volonté adressé à Donald Trump. Le président américain, exprimant encore une certaine défiance à l’égard des nouvelles autorités de Damas, ne s’est toujours pas prononcé en faveur d’une éventuelle levée des sanctions qui étouffent économiquement la Syrie et empêchent Ahmed Al-Charaa d’amorcer le redressement du pays. M. Trump pourrait également acter rapidement un retrait ou, au moins, un désengagement d’une partie des 2 000 soldats présents aux côtés des forces kurdes, ce qui laisserait ces dernières sans protection face aux menaces d’offensive de la Turquie.
L’administration américaine a exercé d’intenses pressions sur M. Abdi pour qu’il trouve un accord avec le président syrien de transition. Très proche des forces kurdes, qu’elle a soutenues avec les Américains au sein de la coalition de lutte contre l’organisation Etat islamique (EI), la France a plaidé auprès du commandant kurde pour qu’il signe sans attendre que tombe le couperet du retrait américain.
L’accord appelle à un cessez-le-feu qui est vu, côté kurde, comme la promesse de la fin des opérations turques. A la chute de Bachar Al-Assad, les factions syriennes soutenues par la Turquie sont reparties à l’offensive contre les FDS, qu’Ankara accuse d’être affiliées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, classé organisation terroriste en Turquie).
Velléités turques réfrénées
Alors que les combats se concentrent autour du barrage de Tichrine, les velléités turques ont été refrénées sous la pression de Washington et l’insistance de M. Al-Charaa à parvenir à une solution politique. Mazloum Abdi a dit, pour sa part, s’engager au départ des membres étrangers du PKK de Syrie en cas de trêve. L’appel du chef du PKK, Abdullah Öcalan, le 27 février, à la dissolution du parti et à l’abandon de la lutte armée, lui donne les coudées franches.
Emmené par un hélicoptère de l’armée américaine depuis Hassaké jusqu’à Damas, Mazloum Abdi avait troqué sa tenue militaire pour un costume. Attablés devant un drapeau syrien, le commandant kurde et le président par intérim syrien ont signé une lettre d’intention comportant huit points d’accord, dont les modalités devront être spécifiées d’ici à la fin de l’année 2025 au sein de comités exécutifs. L’exercice pourrait s’avérer difficile sur certaines questions fondamentales qui dessineront les contours du futur Etat syrien.
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La lettre d’intention confirme que les Kurdes ont renoncé à leurs demandes initiales d’autonomie administrative et militaire. A la faveur de la guerre civile déclenchée en 2011, les forces kurdes avaient mis en place, sur les vastes territoires qu’elles contrôlent dans le Nord-Est syrien, riches en blé, pétrole et gaz, et comprenant des populations kurde et arabe, une administration autonome, avec leurs propres institutions éducatives, sociales et militaires. Lors de sa première rencontre avec Mazloum Abdi, en décembre 2024, Ahmed Al-Charaa avait rejeté sa demande de fédéralisme, sur le modèle de la région autonome du Kurdistan irakien. L’accord prévoit « l’intégration de toutes les institutions civiles et militaires du nord-est de la Syrie au sein de l’administration de l’Etat syrien, y compris les postes-frontières [vers l’Irak et la Turquie], l’aéroport [de Qamichli], ainsi que les champs pétroliers et gaziers ».
Le texte ne précise pas si une forme de décentralisation administrative est envisagée, ni comment les FDS seront intégrées à la nouvelle armée syrienne. Le commandant Abdi avait plaidé pour une intégration des FDS sur une base collective, ce que M. Charaa a rejeté. L’accord exclut également la mise en place de quotas ethniques et confessionnels dans la répartition des postes au sein de l’Etat syrien.
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La sécurisation des prisons, où sont détenus plus de 9 500 membres présumés de l’EI, et des camps accueillant plus de 55 000 Syriens et étrangers appartenant aux familles liées à l’organisation islamiste, sera assumée par les forces de sécurité syriennes. Le porte-parole des FDS, Farhad Shami, a précisé que leur déploiement n’était pas encore prévu à ce stade, à l’exception de celui sur les postes-frontières, ni aucun changement encore sur les dossiers du pétrole, de la sécurisation des prisons ou de la lutte contre l’EI.
Droit à la citoyenneté garanti pour les Kurdes
Le 25 février, les responsables kurdes s’étaient offusqués d’avoir été exclus de la conférence de dialogue national, organisée sous l’égide de M. Al-Charaa pour esquisser les contours de la future Syrie. L’accord jette les bases des relations à venir de la communauté kurde avec Damas. Celle-ci, présentée comme « une composante essentielle de l’Etat syrien », se voit garantir son droit à la citoyenneté et l’ensemble de ses droits constitutionnels, notamment culturels et linguistiques, qui lui avaient été déniés sous le règne du clan Al-Assad. L’accord prévoit également le retour des Kurdes déplacés pendant la guerre, notamment ceux chassés d’Afrin par les factions syriennes appuyées par la Turquie en 2018.
« Nous considérons cet accord comme une véritable occasion de construire une nouvelle Syrie qui comprenne toutes ses composantes et assure une bonne cohabitation », s’est félicité Mazloum Abdi sur la plateforme X. « Nous espérons que cet accord ouvrira la voie à une réconciliation nationale globale, à une véritable justice transitionnelle, à la garantie de l’implication des Kurdes et de toutes les autres composantes dans le processus politique, et au retour en toute sécurité des déplacés et des expatriés », a abondé Ilham Ahmed, coprésidente du comité exécutif de l’administration autonome kurde. Il revient désormais à Ahmed Al-Charaa de construire, sur le succès de cet accord historique avec les Kurdes, les voies d’une intégration au sein de l’Etat de toutes les communautés, notamment druze et alaouite.