Alors que Donald Trump prend la présidence des États-Unis, l’un des premiers défis sera de façonner l’avenir de la Syrie. Parmi les acteurs clés internes figurent les Kurdes syriens, la plus grande minorité du pays, bien armés, laïcs et alliés de l’Occident. Les regards se tournent vers la Turquie, désireuse de s’imposer comme un acteur clé, mais qui se heurte à un chemin semé d’embûches.
« Erdoğan, de la Turquie, soutient les attaques menées par ce qu’on appelle l’ANS contre nos partenaires, les Kurdes. Êtes-vous d’accord pour dire que nous devrions soutenir notre partenaire, les FDS, dans la lutte contre Daech ? »
Cette question, posée par le sénateur démocrate Chris Van Hollen lors de l’audition de Marco Rubio pour sa confirmation au poste de secrétaire d’État le 15 janvier 2025, a mis en lumière une tension géopolitique cruciale, plaçant la Turquie sous le feu des projecteurs.
« Oui, absolument, » a répondu Rubio. « Nous devons reconnaître les implications de l’abandon de nos partenaires. Il est dans l’intérêt national des États-Unis d’avoir une Syrie qui protège les Kurdes. Il est important de signaler à Erdoğan que [la Turquie] ne doit pas considérer la transition du pouvoir aux États-Unis comme une opportunité pour violer les accords existants. »
Avec l’investiture imminente du président Trump, l’avenir de la Syrie reste incertain. Quatorze années de guerre civile ont dévasté son économie, fragmenté son territoire et laissé ses minorités dans l’inquiétude.
La Turquie, sous la présidence d’Erdoğan, est un acteur central dans la détermination de l’avenir de la Syrie, bien que ses ambitions soient entachées de risques. Ankara a joué un rôle clé dans le déclenchement des événements qui ont conduit à la chute d’Assad, bien que son intention initiale se limitait au soutien des actions du HTS autour d’Alep. Au lieu de cela, elle a dû faire face à un effondrement imprévu du régime, nécessitant une adaptation rapide.
Au départ, la rhétorique d’Erdoğan semblait victorieuse, dépeignant la Turquie comme une puissance régionale dominante. Certains analystes ont prématurément déclaré la Turquie « gagnante ». Cependant, revendiquer une victoire dans le paysage géopolitique délicat de la Syrie nécessite de tirer efficacement parti des avantages — une tâche avec laquelle Ankara a eu du mal.
Sur le plan national, la stratégie d’Ankara a été façonnée par deux développements. Premièrement, Israël a été élevé au rang de menace principale : une session parlementaire à huis clos le 8 octobre a appelé les partis d’opposition à rejoindre le soi-disant « front intérieur » d’Erdoğan contre les menaces extérieures, avec « siège impérialiste » comme mot-clé. Deuxièmement, l’allié d’Erdoğan, Devlet Bahçeli, chef du MHP, a lancé une initiative impliquant le leader emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan. La proposition visait à désarmer le PKK et la milice kurde YPG en échange d’une amélioration des conditions pour Öcalan.
Le message, répété jour après jour, était clair : désarmez ou faites face à l’anéantissement.
Ce mouvement, initialement perçu par certains Kurdes comme un nouveau processus de paix, a révélé l’approche « tout ou rien » d’Ankara — chercher des gains sans concessions.
La proposition d’Öcalan de débattre de l’initiative au Parlement, en revanche, a mis en lumière les véritables intentions d’Ankara : premièrement, obtenir le soutien kurde pour des modifications constitutionnelles susceptibles d’accorder un troisième mandat présidentiel à Erdoğan. Deuxièmement, creuser un fossé entre le PYD, le mouvement politique kurde en Syrie (et sa branche militaire, le YPG), et le Parti DEM, parti pro-kurde en Turquie, ainsi que le PKK.
En Syrie, les objectifs de la Turquie incluent l’expulsion des commandants YPG non syriens, l’intégration des combattants restants dans une nouvelle armée syrienne et la prise de contrôle des camps abritant des membres de Daech. Cependant, ces ambitions ont rencontré d’importants obstacles. Le soutien de l’OTAN et de l’UE aux FDS, y compris leur branche militaire YPG, s’est accru, et les États-Unis ont renforcé la protection des enclaves contrôlées par le YPG. Le soutien sans équivoque de Rubio aux FDS souligne le rejet par l’Occident des exigences de la Turquie. Mais cela crée également des défis redoutables pour Öcalan, qui doit appeler au désarmement des unités YPG en Syrie.
L’exclusion de la Turquie d’une récente réunion du Quintet (États-Unis, France, Italie, Royaume-Uni, Allemagne) à Rome, malgré son insistance, a illustré de nouveaux défis diplomatiques. Pendant ce temps, Israël, déjà méfiant à l’égard de la nouvelle direction syrienne, a également accru son soutien aux FDS, se positionnant comme un rival d’Ankara dans la détermination de l’avenir de la Syrie et en s’attaquant aux préoccupations sécuritaires en Méditerranée orientale.
À cela s’ajoute le fossé croissant entre la Turquie et le leader du HTS, Abu Mohammad al-Julani (Al-Sharaa). Des sources américaines ont récemment rapporté que Julani est perçu comme cherchant à gagner en légitimité en se distançant d’Ankara et en privilégiant les liens avec les États du Golfe comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Jordanie.
Cependant, malgré ces revers, Erdoğan reste un acteur redoutable. Il est probable qu’il exploitera sa relation avec le président Trump pour faire avancer l’agenda de la Turquie. La position de l’administration Trump — qu’elle s’aligne avec Israël ou la Turquie — jouera un rôle décisif dans la détermination de l’avenir de la Syrie. Sans recalibrage stratégique, Ankara risque de se surmener dans un paysage géopolitique complexe et imprévisible.
Cela, jusqu’à présent, ne semble pas se produire.
Yavuz Baydar Journaliste, rédacteur, commentateur.