France Inter, le 6 janvier 2025
Le refus du chef de la transition syrienne, Ahmed al-Charah, de serrer la main de la ministre allemande a fait polémique. Mais les Européens, qui redoutent une résurgence de Daech en cas de descente aux enfers de la Syrie, ont un intérêt à la réussite de cette transition, malgré leurs réserves.
La transition syrienne depuis bientôt un mois présente aux Occidentaux un dilemme. Faut-il se tenir à l’écart des nouveaux maîtres du pays parce qu’ils ne correspondent pas en tous points aux attentes occidentales ? Ou faut-il les accompagner dans un souci de stabilité dans une région toujours explosive ?
La question a rebondi avec la visite vendredi à Damas des chefs de la diplomatie française et allemande, Jean-Noël Barrot et Annelena Baerbock. Lorsque le dirigeant de la transition, Ahmed al-Charah, a serré la main du ministre français, mais a refusé de toucher celle de sa collègue allemande, certains commentateurs ont estimé qu’il aurait fallu en faire une affaire.
La première concernée a elle-même dédramatisé : « En me rendant ici, il était clair pour moi qu’il n’y aurait évidemment pas de poignées de main ordinaires », a-t-elle dit à la presse allemande. Jean-Noël Barrot de son côté a déclaré chez nos confrères de RTL : « Est-ce que j’aurais préféré qu’Ahmed al-Charah serre la main de ma collègue allemande ? La réponse est oui. Est-ce que c’était là l’objet de ce déplacement ? La réponse est non ». Fin de citation. C’est du bon sens, et le débat aurait dû s’arrêter là.
Le mini-drame de la main non-serrée pose la question de la nature du changement de régime en Syrie
Une lecture superficielle fait le parallèle avec l’Afghanistan, où, après un absurde débat sur « les talibans modérés », le sort des femmes a été scellé : elles ont disparu de la vie sociale. On appelle ça un « apartheid de genre ».
La même situation menace-t-elle la Syrie ? Les nouveaux dirigeants ont donné des signaux positifs. Des femmes ont été nommées à des postes significatifs, gouverneure de la Banque de Syrie, gouverneure d’une province. La société civile syrienne est aussi très active pour défendre les droits des femmes, le pluralisme confessionnel, la demande de justice.
Pour autant, les signaux inverses existent aussi : une réforme des programmes scolaires dans un sens religieux a été introduite, et certains aspects aussitôt retiré sous les critiques. Et le nouveau ministre de la Justice, Shadi al-Waisi, se retrouve mis en cause par une vidéo de 2015 le montrant sur les lieux d’une exécution sommaire d’une femme. C’était l’époque où les actuels dirigeants étaient djihadistes, affiliés à Al Qaeda : ça pose évidemment la question de confiance.
Les Occidentaux savent tout ça ; ils savent que si Ahmed al-Charah a renoncé au djihadisme il y a plusieurs années, il n’est pas devenu pour autant un social-démocrate scandinave. Il tient aujourd’hui des propos rassurants, mais les précédents sont nombreux de dérives islamistes autoritaires avec le temps.
Pour autant, l’enjeu syrien va au-delà
Il y a pour les Européens en particulier un sujet majeur qui est celui de la stabilité de ce pays qui a connu le califat de Daech et ses retombées terroristes jusqu’au cœur de Paris. Cette menace n’a pas totalement disparu, et profiterait d’une nouvelle descente aux enfers de la Syrie pour ressurgir. Sans compter les femmes et les enfants français toujours détenus par les Kurdes dans le nord-est de la Syrie pour avoir rejoint Daech, et qui seraient menacés en cas de chaos.
L’Europe a donc un intérêt vital à aider à la réussite de la transition, même si elle n’est pas parfaite ; ça passe notamment par la levée des sanctions qui ont été imposées à la Syrie d’Assad et qui n’ont plus lieu d’être, et l’offre d’expertise là où c’est nécessaire. En un mot, des encouragements, plutôt que de pointer du doigt tout ce qui va mal, tant que la transition va dans le bon sens.