France Inter, 10 décembre 2024, Géopolitique , Pierre Haski
Profitant de la chute du régime Assad, la Turquie, les États-Unis et Israël ont séparément mené des bombardements de cibles en différents endroits du pays, chacun avec son propre agenda. La reconquête de la souveraineté syrienne sera l’un des principaux défis des nouveaux maîtres du pays.
Le départ de Bachar el-Assad venait à peine d’être confirmé que trois pays étrangers bombardaient différentes parties du territoire syrien. On n’en a pas beaucoup parlé dans le contexte bien plus spectaculaire de la chute d’un régime vieux d’un demi-siècle ; mais ces raids aériens viennent confirmer une réalité déjà ancienne : la Syrie est un terrain d’affrontement régional, et sa souveraineté reste à reconquérir.
Les trois pays qui ont effectué des bombardements l’ont fait pour des raisons différentes. Il s’agit de la Turquie dans le nord-est, des États-Unis dans le centre, et d’Israël vers le sud. Chacun a son agenda, son rôle dans les conflits du Proche et du Moyen Orient, et, sans se coordonner, leur premier réflexe a été de bombarder le territoire syrien à un moment de saut dans l’inconnu, et après avoir constaté que les Russes et les Iraniens étaient désormais hors-jeu.
La Turquie est le pays qui a été le moins surpris par l’offensive-éclair qui a fait tomber Bachar el-Assad. Certaines des organisations engagées sont entre ses mains et ne seraient pas intervenues sans son feu vert.
Sans surprise non plus, le premier geste d’Ankara a été de lancer l’Armée nationale syrienne, qui est en fait un groupe armé proturc, en direction des zones tenues par les Kurdes dans le nord-est de la Syrie. L’aviation turque a bombardé la ville de Manbij, que contrôlaient jusqu’ici les forces démocratiques syriennes, les FDS, un groupe à dominante kurde. Il y a eu de nombreuses victimes.
Le premier jour après Assad n’a donc pas été un jour de paix partout, et il est à craindre que le Nord-Est syrien voie se multiplier les affrontements. La Turquie d’Erdogan dénonce l’emprise du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK de Turquie, sur les groupes kurdes syriens. Il veut sinon les éradiquer, au moins créer une zone tampon à la frontière dans laquelle son armée et ses alliés syriens auront la maîtrise.
La situation se complique quand on sait que les FDS sont placées sous la protection des États-Unis, et que quelque 900 membres des forces spéciales américaines sont stationnés dans la région. Ces combattants kurdes ont participé à la lutte contre l’État islamique et la reprise de leur capitale, Raqqa, aux côtés des Occidentaux. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait voulu retirer ces soldats américains, mais en avait été dissuadé par ses généraux et ses alliés européens.
Dès dimanche aussi, les États-Unis ont bombardé plusieurs positions de l’État islamique qui n’a pas été totalement éradiqué. Paradoxalement, ces opérations américaines peuvent être interprétées comme un soutien aux nouveaux maîtres de la Syrie, pour leur éviter une résurgence de Daech, un groupe avec lequel ils sont en opposition frontale.
Le troisième pays, Israël, n’a pas perdu de temps non plus. L’État hébreu a occupé dès dimanche des positions abandonnées par l’armée syrienne sur le mont Hermon, à la frontière avec Israël et le Liban. Benyamin Netanyahou a affirmé que cette occupation était défensive et temporaire. L’Égypte a vivement protesté contre cette saisie de territoire syrien.
L’aviation israélienne a également mené des bombardements massifs contre des cibles très précises, notamment un centre de recherche près de Damas, connu pour son rôle dans le programme d’armes chimiques d’Assad. Israël a profité de la transition pour détruire des infrastructures militaires, bases aériennes, avions et hélicoptères au sol, stations radar.
Parmi les défis des nouvelles autorités syriennes, l’un des plus complexes sera de rétablir la souveraineté du pays face à ces acteurs étrangers qui se comportent comme s’il n’y avait pas d’État. Cela ne se fera pas sans douleur