Marco Rubio, futur secrétaire d’Etat, et Mike Walz, conseiller à la Sécurité nationale, sont des fervents soutiens d’Israël mais aussi des Kurdes.
Des commentaires fébriles, quelques remarques courroucées et une préoccupation bien visible. Depuis les premières nominations du président élu Donald Trump, Ankara semble être saisi d’un léger vent de panique à mesure que s’égrènent les noms des futurs collaborateurs du prochain hôte de la Maison Blanche. Les responsables turcs se sont ouvertement inquiétés de l’arrivée dans le cabinet du milliardaire américain, en tant que secrétaire d’État, du sénateur de Floride, Marco Rubio, soutien inconditionnel d’Israël et critique notoire de la politique turque. Ils se sont littéralement alarmés de la nomination de Mike Waltz, vétéran de la garde nationale, au poste stratégique de conseiller à la sécurité nationale.
« Waltz, un conseiller favorable au PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan] », est allé jusqu’à titrerHürriyet. Le quotidien progouvernemental entendait rappeler le soutien apporté, à plusieurs reprises, par cet élu du Congrès aux milices kurdes dans le Nord syrien, elles-mêmes liées au PKK, bête noire d’Ankara depuis quarante ans.
Silencieux pendant la campagne électorale nord américaine au sujet des deux candidats en lice, félicitant chaleureusement son « ami Donald Trump » dès le lendemain de sa victoire, le président Recep Tayyip Erdogan a fini, lui aussi, par exprimer ses craintes, mais d’une manière plus feutrée. Le 12 novembre, lors de son vol retour de Bakou, où il assistait à la COP 29, le chef de l’Etat a expliqué que « certains messages » provenant du camp du président républicain étaient « préoccupants ». Devant les journalistes, il a ajouté : « Il me semble qu’il est trop tôt pour faire des observations à ce sujet. Nous espérons que M. Trump prendra des mesures très différentes à l’égard de la région [du Moyen-Orient] au cours de ce mandat. »
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La mise en garde est venue de son allié ultranationaliste au gouvernement, Devlet Bahçeli. Avec le sens de l’attaque qu’on lui connaît, le leader d’extrême droite a rappelé les promesses de paix du candidat républicain en Ukraine et entre Israël et la Palestine, mais il a surtout joué sur la fibre patriotique en rappelant la proximité de Marco Rubio avec Athènes. Devant le groupe des députés de son parti, au lendemain de la nomination du sénateur de Floride, il a ainsi déclaré que Trump devait décider s’il « respecterait le droit international » ou s’il « allait ignorer les droits souverains de la Turquie » en soutenant la Grèce et Chypre en Méditerranée orientale.
Rubio critique à l’égard d’Ankara
En Turquie, Marco Rubio est connu comme l’un des principaux architectes de la loi sur « le partenariat pour la sécurité et l’énergie en Méditerranée orientale ». Le texte adopté par le Congrès en 2019 a renforcé les relations politiques, énergétiques et militaires entre Washington, Athènes et Nicosie. Il a mis fin à l’embargo des ventes d’armes à la République de Chypre et créé un centre énergétique pour faciliter la coopération entre les États-Unis, Israël, la Grèce et le sud de l’île chypriote. Le futur secrétaire d’Etat, coauteur du projet, avait déclaré qu’il était « fier d’avoir coécrit un projet de loi qui renforce notre engagement en Méditerranée orientale, une région stratégiquement importante pour les États-Unis et nos alliés ». De quoi susciter l’ire d’Ankara, qui dénonce alors l’attitude du sénateur de Floride. Plusieurs articles montent en épingle ses critiques à l’égard du gouvernement turc.
Dans une lettre publiée en 2021, Marco Rubio est parvenu à rassembler 54 sénateurs pour condamner la situation des droits de l’homme en Turquie, soutenant notamment le joueur de la NBA Enes Kanter, connu pour ses prises de position anti-Erdogan. Le sportif, activement engagé dans la cause des Tibétains et des Ouïghours, est recherché par Ankara pour « terrorisme ». Une accusation niée en bloc par la star.
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La lettre dénonçait également les actions de la Turquie contre les groupes kurdes en Syrie, soutenus par les États-Unis dans la lutte contre l’État islamique. Lorsque le président Trump, au cours de son premier mandat, avait dans un premier temps ordonné le retrait d’environ 900 forces d’opérations spéciales de la région dirigée par les Kurdes dans le Nord syrien, Marco Rubio s’était opposé au départ des troupes américaines.
« La décision d’abandonner nos alliés kurdes est une grave erreur qui aura de graves conséquences au-delà de la Syrie », a-t-il prévenu, ajoutant que Donald Trump devait reconsidérer sa décision de retrait. Ce qu’il fit, dans un revirement spectaculaire, menaçant même de « pulvériser » l’économie turque en cas d’intervention militaire turque dans la région.
Le nouveau conseiller à la Maison Blanche, Mike Waltz, avec qui Marco Rubio s’apprête à façonner la future politique étrangère américaine, avait dit à l’époque qu’un retrait de Syrie serait « une erreur stratégique ». « Après Israël, [les groupes kurdes] sont nos meilleurs alliés au Moyen-Orient », avait-il précisé. Des propos qui augurent de débats houleux, à tout le moins intenses entre Washington et Ankara.