L’annonce intervient cinq jours après l’arrestation du maire d’un arrondissement d’Istanbul, un proche d’Ekrem Imamoglu, l’édile de la mégapole du Bosphore.
L’étau se resserre autour de l’opposition turque, menacée par de nouvelles arrestations de ses élus, avec le risque d’embrasement dans différentes villes du pays. Cinq jours après avoir démis et appréhendé le maire d’un arrondissement d’Istanbul, Ahmet Ozer, un universitaire reconnu et proche du maire CHP (Parti républicain du peuple, centre gauche, nationaliste) de la ville, Ekrem Imamoglu, la justice turque a destitué, lundi 4 novembre, au petit matin, trois édiles de villes du sud-est du pays issus du Parti de l’égalité des peuples et de la démocratie (DEM, ex-HDP, gauche prokurde) . Tous les quatre sont accusés du même crime de « terrorisme » et de liens avec les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ce que démentent formellement les quatre maires et leurs formations politiques.
Comme leur homologue stambouliote, les trois élus kurdes – Ahmet Türk à Mardin, Gülistan Sonük à Batman et Mehmet Karayilan, maire de la petite localité de Halfeti – ont été immédiatement remplacés dans la journée par des gouverneurs nommés par l’Etat, des kayyum en turc, a annoncé le ministère de l’intérieur. Plusieurs échauffourées avec les forces de l’ordre ont d’ores et déjà eu lieu à la mi-journée lundi.
La vitesse et la précipitation dans lesquelles ont été menées ces destitutions sont clairement perçues par les analystes et les politistes indépendants comme un nouveau signe du durcissement de la politique du gouvernement du président turc, Recep Tayyip Erdogan, à l’égard d’une opposition ragaillardie après sa large victoire aux municipales du 31 mars.
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Elles soulèvent également une série de questions sur les perspectives et la sincérité de l’appel pour la paix lancé par la coalition gouvernementale, le 22 octobre, et visant à mettre fin à un conflit de quarante ans entre le PKK et l’Etat.
« Nous ne reculerons pas »
Dès l’annonce de l’arrivée d’un administrateur imposé par le pouvoir central à Mardin, la police a encerclé le bâtiment de la municipalité. Le nouveau gouverneur a immédiatement annoncé une interdiction de réunion, de manifestation et de déclaration à la presse pendant dix jours. Dans sa première réaction sur les réseaux sociaux, le maire, Ahmet Türk, figure populaire et historique du mouvement kurde, âgé de 82 ans, a déclaré : « Nous ne reculerons pas dans la lutte pour la démocratie, la paix et la liberté. Nous ne permettrons pas que la volonté du peuple soit confisquée. Que cela se sache ! » C’est la troisième fois qu’il est ainsi destitué par un kayyum sous un gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP).
Interrogé par la chaîne Internet Sözcü TV par téléphone, Ahmet Türk a raconté comment des agents de police sont venus chez lui à 6 heures pour lui signifier sa destitution. Il a expliqué qu’il avait ouvert la porte en pyjama et qu’il s’était opposé à la tentative d’un policier de prendre une photo. « Cela n’est pas nécessaire », a-t-il lâché. Aux élections municipales de mars, Ahmet Türk avait obtenu 57,4 % des voix, soit trente points de plus que le candidat de l’AKP (islamo-nationaliste) au pouvoir.
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A Batman, la maire, Gülistan Sönük, 31 ans, avait, elle, obtenu 64,5 % des suffrages. La jeune édile était alors devenue la première femme à la tête de la mairie de la ville, cité conservatrice de 650 000 habitants, longtemps marquée par le souvenir d’une série de suicides de jeunes filles dans les années 1990. Avec un tel score, elle est aussi devenue la maire la mieux élue des 81 capitales de province que compte le pays.
Aujourd’hui, sur son compte X, elle écrit : « Notre municipalité, que nous avons remportée avec le plus grand pourcentage de voix en Turquie grâce aux efforts des femmes, des jeunes et de notre peuple, a été saisie sans aucune notification ce matin. Nous n’accepterons pas ce régime de pillage et de saisie. » Dans un entretien accordé au Monde en juin, elle avait rappelé que, dans cette ville, « sur les dix dernières années, les huit qui ont été gérées par des kayyum se sont traduites par un pillage quasi systématique des ressources municipales ».
Champ d’action élargi
Un peu plus tard dans la matinée, le parti DEM a partagé sur son fil X une courte vidéo montrant Gülistan Sönük entourée de ses équipes et empêchée d’entrer dans la mairie par un cordon de policiers. Dans la municipalité de Halfeti, le maire a, lui, été immédiatement embarqué par la police. Autant d’événements qui ont poussé les dirigeants du DEM à qualifier ces destitutions de « coup d’Etat », dénonçant dans un communiqué « une attaque majeure contre le droit du peuple kurde à voter et à être élu ».
Au printemps, la suspension du maire (DEM) de la ville de Van, dans l’est du pays, avait déclenché une importante vague de manifestations dans toute la région et obligé les autorités centrales à réinstaller l’élu dans ses fonctions. Toutefois, quelques semaines plus tard, l’élu de Hakkari, une ville près de la frontière irano-irakienne, était démis de ses fonctions et condamné à dix-neuf ans et demi de prison pour « terrorisme », devenant ainsi le premier, en 2024, d’une liste qui vient de s’allonger ces dernières heures.
A partir de 2015, année de la reprise de la guerre contre le mouvement kurde, et après les municipales de 2019, la quasi-totalité (143 sur 167) des maires du parti prokurde, élus démocratiquement lors des deux précédents scrutins, ont été déchus, le plus souvent arrêtés, parfois jugés et condamnés.
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Avec l’arrestation du maire d’arrondissement CHP d’Istanbul, ancien conseiller d’Ekrem Imamoglu, le pouvoir semble vouloir élargir son champ d’action et s’attaquer frontalement à la principale formation de l’opposition. « Sans tirer aucune leçon de ces derniers jours, a fustigé, sur son compte X, le président du parti, Ozgür Ozel, ignorant tout ce qui a été dit, en mettant la main sur des municipalités qu’ils n’ont pas réussi à remporter aux élections, en osant démettre de leurs fonctions des politiciens qu’ils n’ont pas réussi à mettre à genoux, nous sommes face à une effronterie éhontée et sans vergogne, dont les mains sont sales, le cœur est mauvais et l’esprit détraqué. » Le chef de l’opposition de mettre en garde : « Je vous préviens, il n’y a bientôt plus de mots à ajouter. Nous ferons tout ce qui est nécessaire pour lutter contre ce mal. »
Deux plaintes déposées par Erdogan
Dans une allocution très remarquée, faisant suite à l’arrestation de son homologue, Ekrem Imamoglu a expliqué que les dirigeants au pouvoir, « par le biais de tribunaux motivés politiquement, tentent de s’emparer de l’autorité que le peuple ne leur a pas confiée ». Et puis ceci : « Ils se nourrissent de mensonges, de calomnies et de fake news. J’ai vérifié les allégations présentées comme preuves de la relation actuelle, ou prétendue telle, entre Ahmet Ozer et l’organisation terroriste – croyez-moi, vous ririez si vous les lisiez. J’ai lu l’acte d’accusation de sept pages en dix minutes. Je m’excuse auprès de nos avocats, mais la personne qui l’a rédigé doit voir un psychiatre immédiatement. »
La réaction n’a pas tardé. Le président Erdogan a, dès le lendemain, déposé deux plaintes contre les deux opposants. Le chef de l’Etat réclame 1 million de livres turques (soit près de 27 000 euros) pour diffamation. Deux plaintes distinctes qui pourraient déboucher sur des poursuites pour insulte au président en vertu de l’article 299 du code pénal, qui prévoit une peine d’emprisonnement maximale de quatre ans.
Le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, qui fait figure de principal opposant au président, est déjà dans le viseur du pouvoir, qui l’avait fait condamner fin 2022 pour « insulte » aux membres du Haut Comité électoral turc. Il a fait appel. Le possible candidat à la présidentielle de 2028 encourt dans cette autre affaire jusqu’à sept ans de prison et une peine d’inéligibilité.