La découverte, en quantité minime, de viande porcine dans des produits d’une grande marque turque de restauration bon marché nourrit les débats sur les effets de l’inflation, mais aussi les théories du complot les plus folles.
COURRIER INTERNATIONAL, le 14 octobre 2024
La nouvelle, publiée par le média en ligne T24, à fait l’effet d’une bombe en Turquie : de la viande de porc, dont la consommation est interdite dans la religion musulmane, a été retrouvée – en très petite quantité – dans la viande utilisée par une célèbre chaîne de restauration bon marché, Köfteci Yusuf, qui compte 280 établissements à travers le pays.
Le köfte, un des plats nationaux, est une boule de viande, généralement cuisinée à partir d’un mélange d’agneau et de bœuf, avec de nombreuses épices. La présence de viande porcine a été détectée à la suite d’un contrôle du ministère de l’Agriculture, chargé de vérifier la composition des denrées alimentaires vendues dans le pays.
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Mais Köfteci Yusuf n’est pas le seul concerné. Au cours de l’année, 16 000 violations à la réglementation de ce type ont été constatées, rapporte Medyascope, qui cite la présence de viande de porc, d’âne ou de volatiles (ce qui accrédite peut-être une rumeur tenace qui veut que l’on trouve parfois de la mouette dans l’assiette des Stambouliotes) dans des préparations déclarées comme à base de viande rouge, mais aussi du fromage à la margarine et à l’amidon, des huiles ou du miel trafiqué.
“Skimpflation”
Tout cela, c’est la faute de la “skimpflation”, selon le média en ligne Kisa Dalga. Ce terme anglais, formé à partir de skimp, qui signifie “lésiner”, et d’“inflation”, désigne la diminution de la qualité d’un bien ou d’un service pour un prix constant ou même plus élevé.
Ce phénomène s’explique par la crise économique que connaît le pays, avec une inflation de 525 % sur les produits alimentaires depuis 2020, selon les chiffres officiels, largement remis en cause par des économistes indépendants. Afin de réaliser des profits ou simplement de maintenir leurs coûts de production, pour ne pas avoir à augmenter les prix et risquer de perdre des clients, certaines enseignes de restauration peu scrupuleuses choisissent donc de trafiquer leurs produits.
“Si j’avais des connexions politiques ou si j’étais une entreprise étrangère, on ne serait pas venu me créer des problèmes”, s’est défendu publiquement Yusuf Akkas, le patron de la chaîne de restaurant, qui dit s’inquiéter pour ses 12 000 employés, rapporte le quotidien Cumhuriyet. “Quel est le rapport avec le nombre d’employés ?” s’interroge en réponse le quotidien Hürriyet, qui balaie “une ligne de défense qui ressemble à un aveu de culpabilité”.
Solidarité
Mais le fabriquant de köfte semble bien être parvenu à renverser la tendance. Alors que, dans les premiers jours du scandale, des images sur les réseaux sociaux montraient les enseignes de la chaîne complètement désertées, c’est désormais l’inverse qui se produit. En signe de solidarité, des centaines de personnes s’y précipitent en famille pour s’y restaurer, en scandant même parfois des slogans comme : “On ne laissera pas Köfteci Yusuf se faire bouffer.
Une grande partie de ces soutiens s’explique dans la croyance, étalée sur les réseaux et dans la presse progouvernementale, en différents types de complots dont la chaîne de restauration serait la victime : complot d’une puissance étrangère, d’une chaîne rivale, de la mafia qui souhaiterait acquérir la marque à bas prix, et même, pourquoi pas, d’Israël et de ses services secrets.
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Ainsi, selon le célèbre journaliste proche du pouvoir Nedim Sener, cité par le quotidien islamo-nationaliste Yeni Safak, il s’agirait d’une attaque “sioniste” contre cette entreprise turque, en rétribution des appels au boycottage des produits israéliens. Risquer de manger du cochon ou défendre un fleuron de la gastronomie nationale attaqué, voilà le dilemme qui attend les amateurs de boulettes.
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