Turquie. Le spectaculaire revirement d’Erdogan envers le régime de Bachar El-Assad / COURRIER INTERNATIONAL

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Le président turc, qui avait fait d’Assad son ennemi juré, tend désormais la main à son homologue syrien. Recep Tayyip Erdogan cherche notamment à forger une alliance contre les Kurdes de Syrie.

Courrier International, le 2 juillet 2024

Vendredi 28 juin, le président islamo-nationaliste turc, Recep Tayyip Erdogan, a livré son habituel discours d’après la prière du vendredi. Il a notamment abordé les questions internationales et les relations avec le régime de Damas. Si depuis quelque temps le discours d’Ankara à l’égard de son voisin syrien s’était adouci, la tonalité générale du discours a néanmoins surpris. “Nous ne voyons aucun obstacle au rétablissement des relations avec la Syrie”, a affirmé le chef de l’État, jurant par ailleurs que la Turquie n’avait “jamais eu l’objectif de s’immiscer dans les affaires internes de la Syrie”, rapporte le quotidien Hürriyet.

Le leader turc est même allé jusqu’à rappeler le temps où les familles Erdogan et Assad passaient des vacances ensemble sur la Riviera turque, s’étonne le média en ligne T24 “Il est une époque où nous étions très proches de la Syrie, nous nous rencontrions en famille avec M. Assad, peut-être cela se reproduira-t-il à l’avenir”, a-t-il ainsi déclaré.

Noms d’oiseaux

Pour illustrer l’ampleur de cette volte-face, le média en ligne d’opposition Arti Gerçek, dresse la liste des noms d’oiseaux jadis employés par le président turc à l’encontre de celui qu’il nomme aujourd’hui le “respecté M. Assad” : “tyran”, “monstre”, “terroriste”, ou encore “assassin”.

Soutien des rebelles syriens et en particulier des franges islamistes armées de la révolution syrienne, le président Erdogan promettait en 2012 “d’aller prier dans la mosquée des Omeyyades de Damas”, alors qu’il jugeait proche la victoire des rebelles et la chute de la capitale, rappelle le média. “Les relations entre États ne sont pas une affaire personnelle, et les conflits ne sont pas éternels”, balaie le quotidien progouvernemental Sabah, qui applaudit l’initiative présidentielle.

Soutenu par la Russie et l’Iran, Bachar El-Assad a déjà entamé ces dernières années une réconciliation avec la plupart des pays arabes qui lui étaient hostiles, mais il reste à couteaux tirés avec le bloc occidental. “Alors que la justice française vient de délivrer un mandat d’arrêt contre lui, Assad comprend qu’il doit normaliser ses relations avec son voisin turc”, considère l’éditorialiste de Sabah.

Pour le quotidien d’opposition de gauche Birgün, traditionnellement plutôt enclin à défendre le régime de Damas, les déclarations d’Erdogan entrent en contradiction avec la politique qu’il mène en Syrie. “Dans les faits, la Turquie [qui a conquis et administre des pans entiers du nord de la Syrie] ne respecte pas la souveraineté et l’unité territoriale syrienne.” Le journal rapporte que l’opposition turque dialogue avec le régime de Damas, notamment dans l’objectif de renvoyer vers la Syrie les plus de trois millions de réfugiés syriens accueillis en Turquie depuis le début du conflit, en 2011.

L’entremise de la Russie

Les déclarations d’Erdogan font suite à la rencontre, mercredi 26 juin, entre Bachar El-Assad et Alexander Lavrentiev, envoyé spécial du président russe, Vladimir Poutine, qui soutient le régime d’Assad et entretient de bonnes relations avec Erdogan. Le président syrien s’y est dit favorable à un rapprochement avec Ankara à condition que la Turquie cesse son soutien aux rebelles syriens et respecte sa souveraineté, rapporte le média en ligne Al-Monitor.

Le rapprochement voulu par Ankara vise avant tout à forger une alliance contre les Kurdes de Syrie et leurs alliés arabes locaux, qui ont vaincu l’État islamique avec le soutien de la coalition internationale menée par les Américains. Ils administrent de larges régions dans le nord-est et le centre-est du pays.

Proches de la guérilla kurde du PKK, qui combat l’État turc depuis les années 1980, les Kurdes syriens sont hostiles au pouvoir turc. “Ce dialogue entre Ankara et Damas permettrait d’éviter de voir se réaliser le projet du PKK de création d’un État kurde”, se félicite le quotidien Sabah.

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