En fouillant les vestiges de l’antique cité de Laodicée en Anatolie, des archéologues turcs ont découvert une tête monumentale d’Hygie, la déesse grecque de la santé. Cet impressionnant fragment de statue se trouvait coincé entre deux rochers, ce qui a permis sa conservation pendant près de 2 100 ans.
Connaissance des arts, le 3 june 2024, par Laurie Madiot
Dans un post publié le 20 mai 2024 sur le réseau social X, l’archéologue Celal Şimşek dévoile les premières photographies d’une magnifique tête en marbre mise au jour sur le site de Laodicée en Turquie. Encastrée entre deux rochers dans la zone du théâtre occidental de la ville, cette statue monumentale de la déesse grecque Hygie aurait été sculptée entre la fin de la période hellénistique et le début de l’Empire romain. Le directeur des fouilles ne peut cacher son enthousiasme face à cette découverte exceptionnelle. Cet artefact revêt en effet une importance particulière pour la communauté archéologique. Il apporte un éclairage nouveau sur les pratiques religieuses et artistiques de cette époque, tout en documentant la passionnante histoire de Laodicée du Lycos.
Laodicée du Lycos : l’une des plus impressionnantes cités antiques d’Anatolie
Laodicée est une ville antique localisée sur la rive sud de la rivière Lycos, à environ 6 km au nord de l’actuelle Denizli, en Turquie. Cette cité d’Anatolie a été fondée au milieu du IIIe siècle av. J.-C. par le roi séleucide Antiochos II (entre 261 et 253 av. J.-C.). Idéalement située au carrefour de plusieurs routes commerciales, il s’agissait d’une des plus importantes agglomérations de la Phrygie, ancien royaume d’Asie Mineure.
Laodicée du Lycos est explorée dans les années 1960 par l’archéologue canadien Jean des Gagniers. Les fouilles ne reprendront qu’en 2003, sous la direction du professeur Celal Şimşek de l’université de Pamukkale en collaboration avec le musée de Denizli. Grâce au travail des chercheurs, de nombreuses structures architecturales ont été mises au jour puis restaurées. Le site, inscrit sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2013, renferme le plus grand stade jamais découvert en Anatolie. Il comprend également deux théâtres, cinq agoras, quatre bains, cinq fontaines (nymphées), des temples monumentaux, des églises et des basiliques.
Une tête monumentale en marbre coincée entre deux rochers
Le théâtre occidental de Laodicée, construit durant le IIe siècle av. J.-C., est un édifice imposant qui pouvait accueillir jusqu’à 8 000 personnes. Lors des fouilles menées dans le bâtiment de scène en 2024, les archéologues turcs de l’université de Pamukkale ont découvert de nombreuses sculptures. Parmi elles, une tête monumentale d’Hygie, la déesse grecque de la santé, a été retrouvée coincée entre deux rochers. Daté de près de 2 100 ans, ce fragment de statue en marbre blanc est un artefact tout à fait singulier.
La tête en marbre de la déesse Hygie découverte sur le site antique de Laodicée présente un excellent été de conservation. ©Dr. Celal Şimşek/X
Le professeur Celal Şimşek a en effet déclaré que cette tête présentait des « dimensions plus grandes que la normale ». Il s’agit d’une « œuvre de très belle facture qui fait revivre ce que nous appelons l’art hellénistique tardif ». Cette découverte « montre l’importance de la médecine dans cette région et les problèmes liés à la santé ». La statue d’Hygie de Laodicée a été minutieusement retirée de son emplacement par les archéologues. L’équipe poursuit les recherches dans cette zone et a bon espoir de trouver la partie inférieure de cette sculpture monumentale.
Zoom sur Hygie, la déesse grecque de la santé
Hygie est une divinité qui occupe une place prépondérante dans la mythologie grecque dès le VIe siècle av. J.-C. Fille d’Asclépios, dieu de la médecine, elle est souvent figurée comme une jeune femme portant ou nourrissant un serpent. Cette déesse personnifiait les concepts de santé, de propreté et d’hygiène. Elle guérissait les maladies et veillait au bien-être des hommes en leur indiquant les remèdes et les aliments appropriés. Hygie recevait un culte dans les sanctuaires d’Asclépios, fréquemment visités par les malades. De nombreuses statues la représentant ont ainsi été découvertes dans les temples du dieu de la médecine à Épidaure, Pergame, Corinthe et sur l’île de Kos. À partir du IIe siècle av. J.-C., son culte est adopté par les Romains qui la vénèrent sous le nom de Valétudo, puis de Salus.
Une découverte exceptionnelle éclairant la vie artistique et religieuse de Laodicée
Ce fragment de statue de la déesse Hygie est exceptionnel à bien des égards. Outre son excellent état de conservation et son caractère monumental, il apporte un éclairage nouveau sur la vie artistique et religieuse de l’antique cité de Laodicée. La découverte de cette sculpture survient peu de temps après celle d’une grande statue du dieu Asclépios. Ces œuvres, réalisées entre la fin de l’époque hellénistique et le début de la période augustéenne, présentent des finitions soignées et se rattachent au style classique du IVe siècle av. J.-.C. Elles témoignent de la sensibilité artistique et du savoir-faire des sculpteurs qui œuvraient à Laodicée.
Vestiges sur le site antique de Laodicée du Lycos ©Wikimedia Commons / A.Savin
D’après l’archéologue Celal Şimşek, de nombreuses sources écrites mentionnent l’existence d’une école de médecine dans cette ville d’Anatolie. Strabon (Géographie XII, 8, 20) cite un important médecin de la ville : Alexandre Philalèthe. Dans la Bible (Apocalypse 3:18), la lettre envoyée à l’église de Laodicée évoque l’achat d’un collyre à appliquer sur les yeux. Laodicée du Lycos était donc vraisemblablement renommée dans le domaine de la santé. La mise au jour des statues d’Hygie et d’Asclépios confirme cette assertion. Elle permet également aux chercheurs de mieux appréhender la place des divinités gréco-romaines de la santé dans les villes antiques de Turquie.