Özgül Saki, députée stambouliote du DEM, parti d’opposition de sensibilité kurde dénonce le fait que le nouveau programme éducatif adopté par la chambre des députés en Turquie enferme les élèves l’école, la famille, l’État et le marché. Pour elle, l’AKP achève ce que la junte militaire du 12 septembre avait commencé.
Observatoire de la Turquie contemporaine, le 27 mai 2024
*Ce texte est rédigé à partir d’un entretien que le journaliste Irfan Aktan a mené avec Özgül Saki.
Le ministère de l’Éducation nationale a recueilli 67 284 propositions pour le « Modèle éducatif du siècle turc » entre le 26 avril et le 10 mai. Cependant, ni les critiques ni les suggestions n’ont provoqué de modifications significatives dans le programme imposé par le gouvernement. Ce dernier n’a fait que corriger quelques erreurs typographiques.
Un processus exclusif
Saki critique l’absence de consultation avec les partis d’opposition, les universités et les syndicats d’enseignant.e.s lors de la préparation du programme de plus de 3 000 pages. Selon elle, seules la Diyanet (Présidence des affaires religieuses) et des organisations religieuses proches du gouvernement ont été consultées. En décembre dernier, le Ministre de l’éducation a décrit ces organisations comme des « ONG », ce qui révèle la vision du gouvernement.
Un programme idéologique
Le titre « Modèle éducatif du siècle turc » est contesté par l’opposition car il s’agit du slogan électoral de Recep Tayyip Erdoğan. Se prétendant inspiré par la théorie des appareils idéologiques de l’État d’Althusser, l’AKP utilise ce programme pour conditionner la société à travers l’éducation.
L’aboutissement du projet turco-islamique
Des chroniqueurs de l’opposition voient dans ce nouveau programme la dernière étape d’un projet turco-islamique commencé après le coup d’État militaire de 1980. Malgré des résistances sociales et syndicales, l’AKP a progressivement islamisé le système éducatif en supprimant en 2017 l’enseignement de la théorie de l’évolution et en introduisant le concept de « djihad » en 2018.
Un contenu religieux et nationaliste
Le programme éducatif est rempli de références religieuses et nationalistes
Les enfants pris en otage
Selon Saki, le programme transforme les élèves en objets de propagande. Les élèves et leurs familles sont captifs de cette idéologie, avec des cours sur les »valeurs » religieuses dispensées dès la maternelle par des membres du quasi Ministère de la religion, le Diyanet. Les enfants jouent à des jeux de « djihad ».
Conséquences sur les enseignants
Les enseignants, déjà sous pression, doivent maintenant rédiger des rapports détaillés sur chaque élève et effectuer des visites à domicile. Cette bureaucratie, cette obligation de surveiller les empêche de se consacrer pleinement à l’enseignement.
Saki avertit que ce programme vise à former une génération démunie d’esprit et de regard critiques, ce qui diminue la capacité intellectuelle des élèves. Ainsi, l’opposition et les syndicats sont contraints d’intensifier leurs efforts pour sensibiliser le public aux dangers de ce programme.
Le nouveau programme éducatif de l’AKP ouvre une nouvelle étape, majeure celle-ci, dans le processus d’islamisation du système scolaire turc, en alignant l’éducation sur les objectifs idéologiques et économiques du gouvernement. Cette transformation radicale pose des défis importants aux enseignant.e.s et à la société de Turquie dans son ensemble.