Nicolas Bourcier précise dans le Monde daté du 25 janvier qu’en contrepartie du vote de son Parlement, la Turquie n’obtient qu’une « vague promesse de soutien de la Suède à son adhésion, plus que compromise, à l’Union européenne, et l’assurance du président américain, Joe Biden, d’œuvrer au Congrès des Etats-Unis pour qu’il accepte, ce qui est loin d’être acquis, la vente des quarante avions de combat F-16 réclamés par la Turquie depuis des années pour moderniser sa force aérienne«
« Après son adoption par les députés, le protocole d’adhésion de Stockholm à l’Alliance atlantique devrait être signé, dans les prochains jours, par le président Recep Tayyip Erdogan. L’épilogue de vingt mois de tractations et de tergiversations, qui ont mis en lumière les profondes divisions opposant Ankara à ses alliés occidentaux.
Le vote a été qualifié de « décisif » pour l’avenir de la Suède par les principaux médias turcs. Il a été accueilli à Stockholm avec un soulagement perceptible, mais pas plus. Dans les capitales occidentales, il n’a suscité que des applaudissements polis, tant les divergences – ou, plus précisément, le fossé qui sépare Ankara des autres membres de l’OTAN – n’ont cessé de se creuser tout au long de ces interminables tractations.
Il a fallu quatre heures, mardi 23 janvier, aux députés de la majorité présidentielle turque pour adopter, avec 287 voix contre 55, le protocole d’adhésion de la Suède à l’Alliance atlantique, en suspens depuis mai 2022.
Le texte doit être désormais signé par le chef de l’Etat, Recep Tayyip Erdogan. Une formalité en théorie, dont il devrait s’acquitter dans les prochains jours. A partir de cette date, il ne restera plus que la Hongrie, sur les trente et un membres de l’Alliance, à n’avoir pas donné son feu vert à l’Etat scandinave. Mardi matin, quand le vote du Parlement turc a semblé se confirmer, le premier ministre hongrois, Viktor Orban, a invité son homologue suédois, Ulf Kristersson, à venir à Budapest pour « négocier ». Mais, visiblement échaudés par l’expérience turque, les Suédois se sont contentés de répondre qu’ils « étudieraient la question ».
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Au-delà de l’arithmétique et du calendrier, ces vingt mois de blocage ont laissé entrevoir la profonde ligne de fracture qui divise la communauté atlantique et qui oppose tout particulièrement la Turquie à ses alliés. Combien de fois l’homme fort d’Ankara et son entourage ont-ils évoqué une sortie de crise avant de formuler de nouvelles exigences ? Combien de fois les autorités turques ont-elles semblé sur le point de s’engager, avant de se raviser ? De quoi susciter l’incompréhension, une colère froide, aussi, de la plupart des diplomates occidentaux envers la présidence turque.
Vingt longs mois de tergiversations, de tensions, de conciliabules et de portes qui claquent ont été nécessaires pour arriver à la conclusion d’un accord guère avantageux, au bout du compte, pour la Turquie : en échange du vote de son Parlement, Ankara obtient une vague promesse de soutien de la Suède à son adhésion, plus que compromise, à l’Union européenne, et l’assurance du président américain, Joe Biden, d’œuvrer au Congrès des Etats-Unis pour qu’il accepte, ce qui est loin d’être acquis, la vente des quarante avions de combat F-16 réclamés par la Turquie depuis des années pour moderniser sa force aérienne.
Pression sur le gouvernement suédois et sur l’UE
Les tractations avaient commencé dès les premières semaines ayant suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la demande officielle d’adhésion de Stockholm à l’OTAN, son corollaire. Pendant des mois, les dirigeants turcs ont fait pression sur le gouvernement suédois, dont il dénonçait la mansuétude envers certains réfugiés turcs et kurdes, accusés de « terrorisme » par Ankara. C’était le cas des membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme une organisation terroriste par Ankara et ses alliés occidentaux. Ainsi que pour les sympathisants du mouvement du prédicateur Fethullah Gülen, responsable, aux yeux du gouvernement turc, du coup d’Etat militaire manqué du 15 juillet 2016.
Une liste d’une trentaine de personnes que la Turquie souhaitait voir extradées a d’abord circulé entre les deux capitales. Celle-ci s’est allongée au fil du temps, pour atteindre plus d’une centaine de noms. Après avoir publiquement rejeté l’extradition d’un journaliste réclamée par Ankara, fin 2022, la justice suédoise a finalement autorisé, après de longues tractations, celle d’un premier partisan du PKK, sur des charges criminelles toutefois, et non pas politiques.
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Et puis, il y a eu les autodafés du Coran. A deux reprises, le président turc a fustigé la Suède pour avoir autorisé la tenue de manifestations au cours desquelles des exemplaires du livre sacré ont été piétinés et brûlés. Ironie de l’histoire, c’est le Danemark voisin qui a adopté une loi interdisant la profanation de « textes ayant une signification religieuse importante ».
Recep Tayyip Erdogan a finalement levé son veto à l’entrée de la Suède, en juillet 2023, lors du sommet de l’OTAN, à Vilnius, en précisant que la décision finale revenait au Parlement turc. Et en ajoutant : « Nous voulons que ce processus prenne fin aussi vite que possible. » L’avant-veille, le jour de son arrivée dans la capitale lituanienne, il avait surpris ses interlocuteurs en appelant Bruxelles à « ouvrir d’abord la voie à la Turquie » en échange de l’accès de la Suède à l’OTAN.
Erdogan fixe ses conditions
Par la suite, le président a demandé au Canada de lever son embargo sur les armes imposé à Ankara afin de contribuer à forger « l’opinion positive du Parlement » turc sur l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Ottawa avait suspendu ses permis d’exportation d’armes vers la Turquie en 2019, après une incursion militaire turque en Syrie. La suspension avait été renouvelée en 2020, après que de la technologie militaire canadienne, vendue à Ankara, a été utilisée par les forces azerbaïdjanaises, lors de la guerre au Haut-Karabakh.
Dans la même veine, Recep Tayyip Erdogan a conditionné, ces derniers mois, la ratification de l’adhésion de la Suède à une approbation « simultanée » par le Congrès américain de la vente de F-16. Une idée défendue par le ministre des affaires étrangères, Hakan Fidan, auprès de son homologue américain, sans guère de résultats.
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Il a fallu attendre la fin d’octobre 2023 pour que le chef de l’Etat turc transmette aux députés le protocole d’adhésion de l’Etat scandinave. La première journée de discussions au sein de la commission parlementaire des affaires étrangères a toutefois tourné court. Elle s’est achevée sans la conclusion d’un accord, ni même d’explications.
A peine a-t-on appris qu’une motion des députés de la formation de Recep Tayyip Erdogan, le Parti de la justice et du développement, avait été déposée, selon laquelle les négociations avec Stockholm n’étaient « pas parvenues suffisamment à maturité ». Et puis, plus rien. Jusqu’à cette fin décembre 2023, où la commission des affaires étrangères décide, au dernier jour de la session parlementaire, d’approuver le protocole et de le soumettre au vote des députés. Un vote effectué près d’un mois plus tard, sans aucune réelle avancée ni nouveau gain pour Ankara.