Libéré sous contrôle judiciaire le 8 janvier, le journaliste Furkan Karabay a déjà passé dix jours en prison pour avoir “exposé un agent antiterroriste à la menace d’organisations terroristes”, alors qu’il n’avait fait que couvrir une affaire de corruption judiciaire. Reporters sans frontières (RSF) demande qu’aucune charge ne soit retenue contre Furkan Karabay et que cesse l’instrumentalisation de la législation anti-terroriste pour faire taire les professionnels de l’information. Une vingtaine de journalistes, comme lui, sont poursuivis en vertu de cet article.
Le 16 janvier 2024, Reporters Sans Frontières
Libéré sous contrôle judiciaire le 8 janvier, le journaliste du site d’information Gercek Gundem (“véritable agenda”) Furkan Karabay avait été emprisonné le 29 décembre pour avoir “exposé un agent antiterroriste à la menace d’organisations terroristes” dans un article du 27 décembre 2023. Celui-ci – “La crise de pots-de-vin dans l’affaire de la mafia exposée dans les procès-verbaux” – ne faisait pourtant que citer des passages d’un procès-verbal d’une audience publique sur des allégations de corruption judiciaire visant un procureur. En attente de son acte d’accusation, il risque une peine de un à trois ans de prison sous ce chef d’inculpation.
À l’instar de Furkan Karabay, une vingtaine de journalistes ont été poursuivis en justice sur la base de l’article 6 de la loi antiterroriste en 2023. Tout comme l’article 7 alinéa 2 de cette même loi, relatif à la “propagande d’une organisation terroriste”, cette disposition – destinée à protéger les “agents antiterroristes”, dont la définition semble on ne peut plus large – s’avère surtout utilisé pour museler les professionnels de l’information. À ce jour neuf acquittements et deux condamnations ont été prononcées – des décisions qui ne sont toutefois pas encore définitives, la procédure étant toujours en cours dans six de ces affaires – et huit journalistes sont en attente d’un premier jugement.
“Après l’article 7 alinéa 2 de la loi antiterroriste, c’est maintenant également son article 6 que le pouvoir politique et judiciaire turque utilise régulièrement pour faire taire les journalistes et les empêcher d’attirer l’attention sur les affaires de corruption qui ébranlent, notamment le pouvoir judiciaire, ces derniers mois. Face au caractère manifestement arbitraire de cette législation, il est rassurant de constater que certains tribunaux n’ont pu faire autrement que d’acquitter certains journalistes. L’instrumentalisation de la loi contre les journalistes doit maintenant prendre fin.”
Erol Onderoglu, Représentant spécial de RSF en Turquie
20 journalistes poursuivis : deux condamnations, neuf acquittements
En 2023, pas moins de 20 reporters, journalistes d’investigation ou éditorialistes, ont fait l’objet de cette accusation. Neuf d’entre eux ont été acquittés. C’est le cas du reporter de l’Agence Mésopotamie (MA) Firat Can Arslan. Il a passé 100 jours à la prison de Sincan de la capitale Ankara, avant d’être acquitté le 31 octobre 2023. Son crime ? Avoir annoncé le changement d’affectation d’un couple de magistrats qui avaient tous deux traité un même dossier sur des journalistes kurdes massivement emprisonnés à Diyarbakir.
Le journaliste allemand d’origine turque Tuncay Özdamar, de la radio allemande WDR Cosmo, a lui aussi été finalement acquitté à la suite d’une enquête judiciaire pour ses partages de publications sur X, soupçonnés de “viser un procureur”. Placé en garde à vue pendant 14 heures, le 30 septembre dernier, il a été refoulé de l’aéroport d’Ankara vers l’Allemagne. Le parquet d’Ankara a reconnu mi-décembre que ces soupçons étaient infondés.
Quatre journalistes du quotidien Cumhuriyet (République) ont eux aussi été acquittés en première instance, mais un appel est en cours. Hazal Ocak, Olcay Büyüktaş Akça, İpek Özbey et Vedat Arık ont pour seul tort d’avoir révélé la construction “illégale” d’une annexe à la résidence du chef de la communication du président Erdogan, Fahrettin Altun, à Istanbul.
Deux journalistes ont été condamnés en vertu de l’article 6 de la loi antiterroriste : les journalistes kurdes, Ferhat Celik (MA) et Idris Yayla (Jiyan TV), qui ne font pas l’objet d’une détention provisoire, ont été condamnés en première instance, le 4 mai dernier dans la province de Van, à 15 mois de prison pour avoir critiqué le fait que le même procureur soit “en charge à la fois d’une affaire de torture envers deux villageois et du dossier des journalistes arrêtés pour avoir couvert ce cas”. À la suite de la confirmation en appel de cette décision en novembre 2023, leurs avocats ont saisi la Cour de cassation à Ankara.
De nombreux autres procès sont en cours. L’éditorialiste du quotidien Sözcü(Porte-parole) Ismail Saymaz – dont le jugement est attendu le 23 janvier prochain –, ou encore les journalistes de l’agence de presse ANKA et de Bianet.org Mansur Celik et Ayca Soylemez, notamment, sont poursuivis pour avoir mis en cause des juges.