Les diatribes contre Israël du président turc, attendu vendredi à Berlin, où il ne s’était pas rendu depuis 2020, embarrassent la chancellerie.
Le 16 novembre 2023, Nicolas Bourcier, Le Monde.
Olaf Scholz n’a pas attendu d’avoir Recep Tayyip Erdogan face à lui pour condamner sa récente diatribe contre Israël. Trois jours avant de le recevoir à Berlin, vendredi 17 novembre, le chancelier allemand a qualifié d’« absurdes » les récents propos du président turc affirmant qu’Israël « essaie depuis soixante-quinze ans de construire un Etat dont la légitimité est remise en question par son propre fascisme ».
« Israël est un pays qui respecte les droits humains et le droit international, et qui s’engage à agir en conséquence », a déclaré, mardi 14 novembre, M. Scholz lors d’une conférence de presse conjointe avec le premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, dans la capitale allemande. « C’est pourquoi les accusations portées contre Israël sont absurdes », a-t-il ajouté.
Il n’est pas habituel de réprouver publiquement les propos d’un chef d’Etat que l’on s’apprête à recevoir. Cela en dit long sur le climat d’extrême tension qui entoure la visite de M. Erdogan à Berlin, la première depuis 2020, et de loin le plus controversé des quatre déplacements qu’il a effectués depuis 2014 en Allemagne, en tant que président, dans un pays où vit la principale communauté turque de la diaspora.
Un aveu de faiblesse
Ces derniers jours, plusieurs responsables communautaires ont condamné la venue de M. Erdogan. « Ceux qui nient le droit à l’existence d’Israël et même le combattent activement ne peuvent être des partenaires politiques pour l’Allemagne », a déclaré Josef Schuster, président du Conseil central des juifs d’Allemagne. « Accueillir Erdogan revient à donner une gifle aux juifs d’Allemagne et d’Israël », s’est indigné Cahit Basar, porte-parole de la communauté kurde outre-Rhin.
Des associations de défense des droits humains et des intellectuels ont également réclamé l’annulation de la visite. « Depuis le 7 octobre, tous les dirigeants du pays affirment que l’antisémitisme n’a pas sa place en Allemagne. Quand on accueille quelques jours plus tard un antisémite comme Erdogan, pour qui le Hamas est un “groupe de libération”, on se demande si ceux qui tiennent ces discours les prennent au sérieux ou s’ils pensent que la realpolitik passe avant tout », s’agace Burak Copur, directeur du centre de recherche sur la radicalisation et la prévention à l’Université internationale des sciences appliquées. Selon lui, le maintien de cette visite – prévue avant l’attaque du Hamas en Israël, le 7 octobre – est à la fois une forme de « double standard » et un aveu de faiblesse pour Berlin, qui « reconnaît à quel point il a besoin d’Ankara sur certains dossiers sensibles, comme celui des migrants ».
A la chancellerie, on assume le maintien de ce qui est modestement qualifié de « visite de travail », au cours de laquelle M. Erdogan sera reçu par le président fédéral, Frank-Walter Steinmeier, avant de dîner avec Olaf Scholz. « Nous avons toujours des partenaires difficiles avec qui nous devons composer », a justifié Steffen Hebestreit, le porte-parole de M. Scholz, rappelant que M. Erdogan peut également être un interlocuteur utile dans certaines crises, comme il l’a montré en tentant de jouer les médiateurs entre la Russie et l’Ukraine.
Des attentes limitées
En matière d’avancées concrètes, les attentes liées à cette visite sont néanmoins limitées, comme le reconnaît le député social-démocrate Nils Schmid, porte-parole du SPD pour les questions de politique étrangère. Sur le Proche-Orient, « il n’y a rien à attendre, car Erdogan a décidé de se poser en leader de la rue arabe et s’est donc mis hors jeu comme possible médiateur entre le Hamas et les pays occidentaux ». Quant à la relation entre la Turquie et l’Union européenne (UE), « tout restera bloqué tant qu’Erdogan ne reprendra pas le chemin de l’Etat de droit et de la démocratie ».
Deux dossiers pourraient néanmoins donner lieu à quelques légères avancées. Les deux capitales semblent être en faveur d’une « amélioration » du pacte entre l’UE et la Turquie conclu en 2016 pour parer, à l’époque, à la crise migratoire. Lors des précédentes discussions entre Européens et Turcs, Ankara a laissé entendre plusieurs fois qu’une renégociation de l’accord sur les migrants était nécessaire, le gouvernement d’Erdogan demandant plus de soutien face au nombre de réfugiés se trouvant sur son sol. Un cycle de négociations devrait s’ouvrir à la fin du mois.
Autre sujet auquel tient beaucoup M. Scholz : trouver un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. « Il faut faire comprendre que l’Azerbaïdjan doit cesser de constituer une menace pour l’Arménie », explique M. Schmid. Un dossier pour lequel M. Erdogan a annoncé à plusieurs reprises, ces dernières semaines, avoir formulé une proposition visant à piloter des pourparlers avec Bakou et Erevan.