L’Union européenne se prépare à accueillir de nouveaux membres dans un avenir plus ou moins proche, mais pour la Turquie, éternelle candidate, le bout du chemin semble hors d’atteinte, les négociations d’adhésion étant gelées depuis 2018.
Le 9 Novembre 2023, Var Matin.
La Commission européenne rend mercredi son rapport annuel sur l’élargissement de l’UE à plusieurs pays candidats, et tous les regards seront tournés vers l’Ukraine ou la Moldavie.
Mais la Turquie, officiellement candidate à l’adhésion depuis 1999, sera à peine mentionnée.
L’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE remonte à 2005. Un événement considéré comme historique par Tony Blair, Premier ministre britannique à l’époque.
Mais, très vite, les dirigeants européens se sont heurtés aux difficultés liées à la présence turque dans le nord de Chypre, avant-goût des nombreux problèmes à venir dans les négociations.
Pour de nombreux Etats membres, les négociations d’adhésion, gelées depuis juin 2018, sont au point mort pour longtemps. En septembre, l’Autriche, opposée de longue date à l’entrée de la Turquie, a réclamé que le processus soit formellement interrompu.
Plusieurs responsables européens, sous couvert d’anonymat, jugent que cela serait plus honnête, mais personne ne veut faire le premier pas.
Améliorer les relations
Les relations entre l’UE et Ankara reposent aujourd’hui essentiellement sur le « donnant-donnant ». La Turquie reçoit ainsi des fonds européens en échange de son aide dans le contrôle des flux migratoires vers l’Europe.
Après les élections turques de mai, les dirigeants européens ont suscité de nouveaux espoirs, en demandant à la Commission européenne et au chef de la diplomatie de l’UE de préparer un rapport en vue d’améliorer les relations.
Ce rapport est attendu pour décembre, avant un sommet des 27, mais les experts restent prudents sur les avancées qu’il pourrait contenir.
« Je ne m’attends pas à une revitalisation significative de la relation parce qu’il y a un nombre restreint de domaines où des progrès peuvent être obtenus », estime Senem Aydin-Duzgit, professeure de relations internationales à l’université Sabanci d’Istanbul.
Il y a un « découragement » vis-à-vis de la Turquie en Europe, a reconnu le rapporteur du dossier turc au Parlement européen, Nacho Sanchez Amor.
« Nous sommes fatigués de maintenir le processus d’adhésion en vie quand apparemment il n’y a pas de véritable volonté politique de l’autre partie pour avancer sur la voie démocratique », a jugé cet eurodéputé espagnol.
L’UE accuse la Turquie de faire marche arrière en matière de démocratisation, particulièrement depuis le coup d’Etat manqué de 2016 contre le président turc Recep Tayyip Erdogan.
Le rapport sur la Turquie devrait dans ce contexte se contenter de recommander une amélioration de l’union douanière entre les deux parties. Mais là encore, les experts sont sceptiques. « Si les négociations sur l’Union douanière peuvent démarrer avec l’actuel gouvernement (turc), je ne pense pas qu’elles aillent très loin », estime Mme Aydin-Duzgit.
« La Turquie n’attend plus rien »
Si Bruxelles envoie parfois des messages contradictoires, M. Erdogan n’est pas en reste. « La Turquie n’attend plus rien de l’Union européenne qui nous a fait patienter à sa porte depuis 60 ans », a-t-il ainsi affirmé début octobre, deux mois après avoir lié son possible feu vert à une adhésion de la Suède à l’Otan à un renouveau des négociations avec l’UE.
L’ambassadeur turc auprès de l’UE, Faruk Kaymakci, se dit toujours favorable à l’adhésion de son pays. « Ce que nous attendons, c’est de recevoir le même traitement que les autres pays candidats », a-t-il fait valoir.
A Bruxelles, comme à Ankara, beaucoup pensent qu’une clarification est nécessaire.
Dès 2009, le président français Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel avaient clairement exprimé leur opposition à une entrée de la Turquie en Europe. Depuis, le Brexit a fait perdre à la Turquie sa principale alliée dans l’UE, la Grande-Bretagne.
Les Etats-Unis continuent cependant à faire pression pour maintenir le processus de négociations en vie, dans le souci de maintenir la Turquie, membre de l’Otan, aussi éloignée que possible de la Russie, particulièrement depuis l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe.
Mais la perspective d’une entrée de l’Ukraine dans l’UE, qui pourrait progresser mercredi en cas d’un avis favorable de la Commission européenne au lancement du processus d’adhésion de Kiev, risque d’éloigner encore davantage la Turquie des rivages européens.
« L’adhésion de l’Ukraine changera l’UE et il lui sera impossible d’accepter un nouveau membre tel que la Turquie », a juge un responsable européen, qui a requis l’anonymat en raison du caractère sensible du sujet.